vendredi 11 janvier 2019

L’Ere de la justice est- elle arrivée ?


L’Ere de la justice est- elle arrivée ?
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Dans le grand chambardement actuel il faut savoir ce que l’on veut. Chacun a pu remarquer que l’on saisissait désormais la justice pour tout et rien et qu’on demandait aux magistrats qui ne sont pas élus faut-il le rappeler, qui ont passé un concours très difficile et qui sont bénéficiaires avec juste raison d’un statut particulier, et je ne parle pas de privilèges dans le contexte actuel d’égalité dans tous les domaines, de se prononcer en droit surtout  ce qui est leur métier et de trancher  des questions qui touchent à la vie en société ce que le peuple divisé et hésitant n’arrive pas à décider de façon unanime ou majoritaire et ce que nos hommes et femmes politiques n’osent pas aborder, ou le font à reculons sans appliquer ensuite les textes votés ou les traités internationaux signés. Faut il que l’autorité judiciaire telle qu’elle est actuellement dans la constitution de la 5ème république devienne un pouvoir judiciaire  pour que la défiance des citoyens en tout ce qui est élite,  haute administration, médias, corps intermédiaires, syndicats,  hommes ou femmes politiques, se transforme en confiance envers ceux qui doivent être neutres, mesurés, non engagés politiquement,  objectifs et dénouent les conflits ?
On a découvert -sauf pour les professionnels et les spécialistes- qu’il y avait deux justices : celle qui est judiciaire et celle qui est administrative.
La première est connue car elle peut concerner tout le monde : le tribunal de police pour les contraventions ( celles  reçues par les gilets jaunes qui occupent les ronds- points par exemple) ; ou le tribunal correctionnel en cas de vol, escroquerie, abus de confiance ou destructions de biens, ou  violences volontaires comme le boxeur -gilet jaune qui a tapé sur des policiers ; enfin la cour d’assises pour les crimes où n’importe quel citoyen peut devenir juré. La justice judiciaire  avec au moins pour l’instant un TGI par département est composée de magistrats qui se décomposent en procureurs- ceux qui sont debout à l’audience-,  soutiennent l’accusation et dépendent du ministre de la justice, et de ceux qui siègent  assis et qui en toute indépendance rendent les jugements. On a le droit de maudire les juges et de ne pas apprécier leurs décisions ( par exemple d’avoir mis en prison tel ou tel gilet jaune, ou d’en avoir condamné certains à diverses peines, car la loi est la loi, et les circonstances sociales peuvent atténuer une infraction caractérisée  mais pas la supprimer) , mais on ne peut  pas de les suspecter ou leur faire un procès d’intention  ou de croire qu’ils  obéissent  à je ne sais qui ou quoi,  en particulier au pouvoir exécutif donc au gouvernement en place.  Une démocratie et un état de droit notions rares dans le monde à feu et à sang sont précieux  et il faut les protéger  en leur donnant le respect qu’ils méritent dans nos institutions au-delà de nos opinions partisanes et les moyens d’être efficaces. Sans justice forte, sans règles de droit qui encadrent les débats et le jugement des justiciables, sans avocats avec des droits de la défense avérés, il n’y a pas de justice et dans ce cas on est dans un régime autoritaire qui en général se termine mal. Avec la crise des gilets jaunes les juges judiciaires ont eu beaucoup de travail pour se prononcer entre deux légitimités celle de pouvoir manifester, mais aussi celle de respecter la loi , de vivre en sécurité et de pouvoir bénéficier de ses propres libertés individuelles car tout le monde n’est pas d’accord avec les méthodes des gilets jaunes -une minorité n’est pas le peuple-et de ne pas porter atteinte aux biens fussent- il publics ou commerciaux- et surtout aux personnes. Aucun démocrate, aucun citoyen ne peut cautionner la violence et dire je suis contre mais… je la comprends dans certaines circonstances. Non, la violence est à bannir sans nuance . Et on ne peut mettre sur un pied d’égalité ceux qui protègent , qui encadrent pour éviter les débordements à savoir les forces de l’ordre qui se défendent et n’attaquent pas,   et représentent la majorité par  l’ordre et la loi, et ceux qui viennent pour se battre, casser du flic, et faire le plus de mal possible. On déplore qu’il y ait des victimes dans tous les camps, que des manifestants a priori pacifiques aient été blessés, mais on ne peut accuser policiers et gendarmes qui sont des républicains et aussi des citoyens avec un pouvoir d’achat modeste et des conditions de travail très difficiles voire dangereuses,  de vouloir volontairement blesser quelqu’un contre qui ils se battent. Les images télévisées parlent d’elles mêmes. Sachant que les forces de l’ordre en cas de bavures présumées font l’objet d’enquêtes internes et de poursuites judiciaires. Il n’est pas possible que ceux qui étaient des héros après Charlie hebdo soient devenus des ennemis du peuple. ! Les juges judiciaires vont avoir à se prononcer dans les mois qui viennent. Il ne faudra pas déclencher des polémiques mais soutenir la justice. Il y a environ 8350 juges judiciaires en France , soit   9,1 juges  (chiffre du conseil de l’europe)  pour 100.000 habitants ce qui est maigre. Nous sommes dans les derniers rangs du classement européen. Le budget de la justice est de l’ordre de 3,5 milliards d’euros ce qui est très insuffisant .On manque de tout, de locaux adaptés, de matériels performants, de personnels administratifs, de greffiers, de juges .Car il n’y a pas que le contentieux pénal dont la procédure est orale à l’audience de jugement qui gère les dossiers de terrorisme et de délinquance  et qui intéresse surtout  le quidam avide de voir les puissants (surtout les politiques ou les chefs d’entreprise ou les personnalités en général ) répondre de leurs fautes présumées .Voire les responsables de l’Etat à titre personnel  puisque une plainte pénale est envisagée pour mise en danger de la vie des migrants, certains citoyens bien pensants estimant qu’on ne les aide pas assez et qu’ainsi ils n’ont pas la dignité à laquelle ils ont droit(sic).  ! IL y a aussi le contentieux des affaires personnelles, les dossiers du domaine  social  et du droit du travail avec les prud’hommes (juridiction composée de salariés et de patrons) et les cours d’appel, le commerce, l’immobilier…-La justice est lente- tous ceux qui l’ont fréquentée volontairement ou non  pour des motifs individuels le savent- outre le fait qu’on l’assimile  mal à travers des procédures parfois absconses et un vocabulaire souvent désuet qui est en train de se revoir pour être mieux appréhendé et compris.  La ministre de la justice Mme Belloubet conduit actuellement  une «  grande » réforme pour des motifs de rationalisation et d’économies ce qui est  naturellement louable mais pas suffisant,  qui va aboutir par certains aspects ,   peu ou  prou à supprimer  des tribunaux, en les spécialisant et en  éloignant le service public de la justice du justiciable  qui réclame plus de proximité -c’est le débat actuel - et des services publics  sur les territoires. Les avocats pour d’autres raisons supplémentaires comme les pouvoirs accrus des procureurs sont vent debout et les magistrats ne semblent pas approuver non plus la proposition de réforme ? Certes il faut moderniser et on ne peut se contenter de l’existant mais faisons le dans le dialogue réel ,dans la concertation concrète, et n’imposons pas du haut une réforme. Le besoin de démocratie participative est dans tous les domaines, et privilégions les rapports humains et la considération.   
La seconde justice est moins connue mais elle prend de l’ampleur : il s’agit du tribunal administratif, de la cour administrative d’appel -il n’y en a  pas une par département mais au moins  une  par région- et au sommet on trouve  le Conseil d’Etat qui a comme autre mission d’être le conseil juridique permanent du gouvernement. Ce qui peut poser un conflit d’intérêt quand l’Etat est attaqué. Et c’est la tendance. Des ONG veulent saisir le tribunal  administratif pour obliger l’Etat à prendre des mesures dans la lutte climatique, respecter ses engagements internationaux (la COP 21 et les lois ). Par exemple pour établir une taxe carbone ce que l’Etat avait fait et qui a déclenché …la colère des gilets jaunes ! Le tribunal administratif est compétent pour tout contentieux avec une autorité ou un organisme publics , par exemple en matière de permis de construire, de suppression de points ou d’un permis de conduire,  de conflit avec une mairie, un hôpital , les impôts, la protection de l’environnement, les investissements lourds…Les citoyens ont pris l’habitude désormais  de saisir la juridiction administrative, car on peut dans certains cas entamer et  poursuivre la procédure essentiellement écrite sans avocat, et obtenir satisfaction. La lutte du pot de terre contre le pot de fer continue certes,  mais elle s’améliore en faveur de  l’individu. Les délais sont longs car il y a beaucoup de dossiers et la procédure est écrite.  Il y a environ 1380 juges administratif issus de l’Ena ou des concours administratifs. Avec un statut spécifique. Ce ne sont pas des magistrats au sens  de ceux qui sont dans les tribunaux judiciaires, mais ils exercent des fonctions juridictionnelles équivalentes dans leur domaine et doivent bénéficier d’une indépendance complète. Bien qu’issus de la haute fonction publique ils doivent pouvoir condamner l’Etat ou les pouvoirs publics  si nécessaire.
On voit donc que la justice judiciaire ou administrative non élue,  est saisie de tous dossiers à la place des décideurs élus ou du gouvernement, de toute nature, et que  bientôt peut être  elle devra choisir entre l’heure d’été et celle d’hiver, ou apprécier  la pureté de l’air et le droit de vivre sainement, ou de savoir si Noêl dont nous sortons est une fête religieuse avec un jour férié ou une simple tradition conforme à la laïcité, ou si on a droit au bonheur et que l’Etat est en faute en ne faisant pas tout pour satisfaire les désirs individuels qui sont des droits à garantir…Le principe de précaution triomphera et le règne de la responsabilité individuelle aura trépassé puisque le coupable c’est toujours l’autre et à  titre subsidiaire l’Etat, donc les autres  collectivement, puisque l’Etat c’est nous. Profitons d’une réforme pour faire en sorte que le tribunal administratif qui a remplacé les conseils de préfecture du 19ème siècle- ce qui n’a plus de sens sauf  au contraire à faire croire que les pouvoirs publics se protègent avec des juges qui leur seraient favorables- , devienne un tribunal avec les mêmes garanties de contradictoire et de débats oraux avec les droits de la défense et les avocats qui plaident vraiment après avoir reçu les conclusions du rapporteur public pas seulement quelques heures avant l’audience, et  ainsi s’intègre dans les mêmes palais de justice  que pour les dossiers judiciaires, avec des juges spécialisés en droit public. Ce serait une simplification pour le justiciable.  Car plus rien ne justifie l’existence à part du monde judiciaire classique des tribunaux administratifs, l’Etat étant déjà mis en cause à travers l’agent judiciaire du trésor devant les juridictions pénales ou civiles, comme il peut l’être si on recherche sa responsabilité  en droit public.
Il faut donc aller au bout de la logique et des demandes de justice actuelles ou à venir et donner  aux juges le droit de trancher ce qui  fondamental, ou est très important, moins important ou secondaire, à la condition que ceux qui sont condamnés ou perdent leurs procès ou ne sont pas contents d’une décision, se taisent , ne crient pas au scandale,  ne demandent pas  un recours auprès du comité des droits de l’homme de l’Onu, ou à la justice  internationale  ,ou au pape  ,ou à telle autorité spirituelle. Le gouvernement des juges est un fantasme  car on peut instaurer un pouvoir judiciaire encadré par des règles précises et contrôlables qui est  encore préférable à la chienlit permanente verbale ou violente, à la paralysie des institutions et  à l’impossibilité de réformer dans l’intérêt général, ou à la contestation permanente  et au droit instrumentalisé .Ou encore à la tyrannie des réseaux sociaux avec ses procureurs auto-proclamés qui rendent des verdicts sans appel, et avec ses minorités qui crient à la vindicte populaire. «  Ave Caesar  Morituri te salutant » : ceux qui vont mourir te saluent comme disaient les gladiateurs  à l’empereur ou au dictateur du moment. L’autorité judiciaire est actuellement traitée selon  son statut inférieur aux autres pouvoirs en qui le peuple a perdu confiance et qui ne prennent pas toutes les responsabilités électives qui leur incombent ce qui laisse du vide  et ouvre la voie à n’importe quoi .Puisque la justice est rendue au nom du peuple français issons la au niveau d’un pouvoir. Montesquieu qui aimait les contre- pouvoirs et donc pas la démocratie directe et sauvage et la séparation des pouvoirs  n’aurait pas, je pense, été gilet jaune ? et dans sa tombe  il sera ainsi content .Notre démocratie se grandira.  
L’ère de la justice est donc arrivée. Ce n’est ni utile ni urgent de se presser. Attendons de le faire entre deux périodes électorales, ce qui assez rare en France il faut le reconnaitre, mais mettons nous- y.  Que l’on fasse des études, que l’on réfléchisse et que l’on propose un projet inspiré d’exemples étrangers ou sui generis puisque nous avons une vocation universelle, dans une discussion apaisée avec tous les acteurs concernés , les politiques, les professionnels ,les justiciables. La justice est une organisation mais aussi une valeur ou vertu. Nous avons besoin de principes qui nous dépassent au- delà de réponses comptables ou matérielles. C’est en nous réconciliant sur l’essentiel que nous mettrons fin à nos querelles-pas à toutes et pas tout le temps car nous sommes des gaulois réfractaires parait-il -car un peuple ne réussit que s’il est soudé par  un destin commun  et des principes partagés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire