L’Ere de la justice est- elle
arrivée ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire et élu local.
Dans le
grand chambardement actuel il faut savoir ce que l’on veut. Chacun a pu
remarquer que l’on saisissait désormais la justice pour tout et rien et qu’on demandait
aux magistrats qui ne sont pas élus faut-il le rappeler, qui ont passé un
concours très difficile et qui sont bénéficiaires avec juste raison d’un statut
particulier, et je ne parle pas de privilèges dans le contexte actuel d’égalité
dans tous les domaines, de se prononcer en droit surtout ce qui est leur métier et de trancher des questions qui touchent à la vie en
société ce que le peuple divisé et hésitant n’arrive pas à décider de façon
unanime ou majoritaire et ce que nos hommes et femmes politiques n’osent pas
aborder, ou le font à reculons sans appliquer ensuite les textes votés ou les traités
internationaux signés. Faut il que l’autorité judiciaire telle qu’elle est
actuellement dans la constitution de la 5ème république devienne un pouvoir
judiciaire pour que la défiance des
citoyens en tout ce qui est élite, haute
administration, médias, corps intermédiaires, syndicats, hommes ou femmes politiques, se transforme en
confiance envers ceux qui doivent être neutres, mesurés, non engagés politiquement, objectifs et dénouent les conflits ?
On a
découvert -sauf pour les professionnels et les spécialistes- qu’il y avait deux
justices : celle qui est judiciaire et celle qui est administrative.
La première
est connue car elle peut concerner tout le monde : le tribunal de police
pour les contraventions ( celles reçues
par les gilets jaunes qui occupent les ronds- points par exemple) ; ou le
tribunal correctionnel en cas de vol, escroquerie, abus de confiance ou
destructions de biens, ou violences
volontaires comme le boxeur -gilet jaune qui a tapé sur des policiers ;
enfin la cour d’assises pour les crimes où n’importe quel citoyen peut devenir
juré. La justice judiciaire avec au
moins pour l’instant un TGI par département est composée de magistrats qui se
décomposent en procureurs- ceux qui sont debout à l’audience-, soutiennent l’accusation et dépendent du
ministre de la justice, et de ceux qui siègent
assis et qui en toute indépendance rendent les jugements. On a le droit
de maudire les juges et de ne pas apprécier leurs décisions ( par exemple
d’avoir mis en prison tel ou tel gilet jaune, ou d’en avoir condamné certains à
diverses peines, car la loi est la loi, et les circonstances sociales peuvent
atténuer une infraction caractérisée mais
pas la supprimer) , mais on ne peut pas
de les suspecter ou leur faire un procès d’intention ou de croire qu’ils obéissent à je ne sais qui ou quoi, en particulier au pouvoir exécutif donc au
gouvernement en place. Une démocratie et
un état de droit notions rares dans le monde à feu et à sang sont précieux et il faut les protéger en leur donnant le respect qu’ils méritent
dans nos institutions au-delà de nos opinions partisanes et les moyens d’être
efficaces. Sans justice forte, sans règles de droit qui encadrent les débats et
le jugement des justiciables, sans avocats avec des droits de la défense avérés,
il n’y a pas de justice et dans ce cas on est dans un régime autoritaire qui en
général se termine mal. Avec la crise des gilets jaunes les juges judiciaires
ont eu beaucoup de travail pour se prononcer entre deux légitimités celle de
pouvoir manifester, mais aussi celle de respecter la loi , de vivre en sécurité
et de pouvoir bénéficier de ses propres libertés individuelles car tout le
monde n’est pas d’accord avec les méthodes des gilets jaunes -une minorité
n’est pas le peuple-et de ne pas porter atteinte aux biens fussent- il publics
ou commerciaux- et surtout aux personnes. Aucun démocrate, aucun citoyen ne
peut cautionner la violence et dire je suis contre mais… je la comprends dans
certaines circonstances. Non, la violence est à bannir sans nuance . Et on ne
peut mettre sur un pied d’égalité ceux qui protègent , qui encadrent pour
éviter les débordements à savoir les forces de l’ordre qui se défendent et
n’attaquent pas, et représentent la majorité
par l’ordre et la loi, et ceux qui
viennent pour se battre, casser du flic, et faire le plus de mal possible. On
déplore qu’il y ait des victimes dans tous les camps, que des manifestants a
priori pacifiques aient été blessés, mais on ne peut accuser policiers et
gendarmes qui sont des républicains et aussi des citoyens avec un pouvoir
d’achat modeste et des conditions de travail très difficiles voire dangereuses,
de vouloir volontairement blesser
quelqu’un contre qui ils se battent. Les images télévisées parlent d’elles
mêmes. Sachant que les forces de l’ordre en cas de bavures présumées font
l’objet d’enquêtes internes et de poursuites judiciaires. Il n’est pas
possible que ceux qui étaient des héros après Charlie hebdo soient devenus des
ennemis du peuple. ! Les juges judiciaires vont avoir à se prononcer dans
les mois qui viennent. Il ne faudra pas déclencher des polémiques mais soutenir
la justice. Il y a environ 8350 juges judiciaires en France , soit 9,1
juges (chiffre du conseil de l’europe) pour 100.000 habitants ce qui est maigre.
Nous sommes dans les derniers rangs du classement européen. Le budget de la justice
est de l’ordre de 3,5 milliards d’euros ce qui est très insuffisant .On manque
de tout, de locaux adaptés, de matériels performants, de personnels
administratifs, de greffiers, de juges .Car il n’y a pas que le
contentieux pénal dont la procédure est orale à l’audience de jugement qui gère
les dossiers de terrorisme et de délinquance
et qui intéresse surtout le
quidam avide de voir les puissants (surtout les politiques ou les chefs d’entreprise
ou les personnalités en général ) répondre de leurs fautes présumées .Voire les
responsables de l’Etat à titre personnel
puisque une plainte pénale est envisagée pour mise en danger de la vie
des migrants, certains citoyens bien pensants estimant qu’on ne les aide pas
assez et qu’ainsi ils n’ont pas la dignité à laquelle ils ont droit(sic).
! IL y a aussi le contentieux des affaires personnelles, les dossiers du
domaine social et du droit du travail avec les prud’hommes (juridiction
composée de salariés et de patrons) et les cours d’appel, le commerce,
l’immobilier…-La justice est lente- tous ceux qui l’ont fréquentée
volontairement ou non pour des motifs
individuels le savent- outre le fait qu’on l’assimile mal à travers des procédures parfois absconses
et un vocabulaire souvent désuet qui est en train de se revoir pour être mieux
appréhendé et compris. La ministre de la
justice Mme Belloubet conduit actuellement
une « grande » réforme pour des motifs de
rationalisation et d’économies ce qui est
naturellement louable mais pas suffisant, qui va aboutir par certains aspects , peu ou prou à supprimer des tribunaux, en les spécialisant et en éloignant le service public de la justice du
justiciable qui réclame plus de
proximité -c’est le débat actuel - et des services publics sur les territoires. Les avocats pour
d’autres raisons supplémentaires comme les pouvoirs accrus des procureurs sont
vent debout et les magistrats ne semblent pas approuver non plus la proposition
de réforme ? Certes il faut moderniser et on ne peut se contenter de
l’existant mais faisons le dans le dialogue réel ,dans la concertation
concrète, et n’imposons pas du haut une réforme. Le besoin de démocratie
participative est dans tous les domaines, et privilégions les rapports humains
et la considération.
La seconde
justice est moins connue mais elle prend de l’ampleur : il s’agit du
tribunal administratif, de la cour administrative d’appel -il n’y en a pas une par département mais au moins une
par région- et au sommet on trouve
le Conseil d’Etat qui a comme autre mission d’être le conseil juridique
permanent du gouvernement. Ce qui peut poser un conflit d’intérêt quand l’Etat
est attaqué. Et c’est la tendance. Des ONG veulent saisir le tribunal
administratif pour obliger l’Etat à prendre des mesures dans la lutte
climatique, respecter ses engagements internationaux (la COP 21 et les lois ).
Par exemple pour établir une taxe carbone ce que l’Etat avait fait et qui a
déclenché …la colère des gilets jaunes ! Le tribunal administratif est
compétent pour tout contentieux avec une autorité ou un organisme publics , par
exemple en matière de permis de construire, de suppression de points ou d’un
permis de conduire, de conflit avec une
mairie, un hôpital , les impôts, la protection de l’environnement, les investissements
lourds…Les citoyens ont pris l’habitude désormais de saisir la juridiction administrative, car
on peut dans certains cas entamer et
poursuivre la procédure essentiellement écrite sans avocat, et obtenir
satisfaction. La lutte du pot de terre contre le pot de fer continue
certes, mais elle s’améliore en faveur
de l’individu. Les délais sont longs car
il y a beaucoup de dossiers et la procédure est écrite. Il y a environ 1380 juges administratif issus
de l’Ena ou des concours administratifs. Avec un statut spécifique. Ce ne sont
pas des magistrats au sens de ceux qui
sont dans les tribunaux judiciaires, mais ils exercent des fonctions
juridictionnelles équivalentes dans leur domaine et doivent bénéficier d’une
indépendance complète. Bien qu’issus de la haute fonction publique ils doivent
pouvoir condamner l’Etat ou les pouvoirs publics si nécessaire.
On voit donc
que la justice judiciaire ou administrative non élue, est saisie de tous dossiers à la place des
décideurs élus ou du gouvernement, de toute nature, et que bientôt peut être elle devra choisir entre l’heure d’été et
celle d’hiver, ou apprécier la pureté de
l’air et le droit de vivre sainement, ou de savoir si Noêl dont nous sortons
est une fête religieuse avec un jour férié ou une simple tradition conforme à la
laïcité, ou si on a droit au bonheur et que l’Etat est en faute en ne faisant
pas tout pour satisfaire les désirs individuels qui sont des droits à garantir…Le
principe de précaution triomphera et le règne de la responsabilité individuelle
aura trépassé puisque le coupable c’est toujours l’autre et à titre subsidiaire l’Etat, donc les
autres collectivement, puisque l’Etat
c’est nous. Profitons d’une réforme pour faire en sorte que le tribunal
administratif qui a remplacé les conseils de préfecture du 19ème
siècle- ce qui n’a plus de sens sauf au
contraire à faire croire que les pouvoirs publics se protègent avec des juges
qui leur seraient favorables- , devienne un tribunal avec les mêmes garanties
de contradictoire et de débats oraux avec les droits de la défense et les
avocats qui plaident vraiment après avoir reçu les conclusions du rapporteur
public pas seulement quelques heures avant l’audience, et ainsi s’intègre dans les mêmes palais de
justice que pour les dossiers judiciaires,
avec des juges spécialisés en droit public. Ce serait une simplification
pour le justiciable. Car plus rien ne
justifie l’existence à part du monde judiciaire classique des tribunaux administratifs,
l’Etat étant déjà mis en cause à travers l’agent judiciaire du trésor devant
les juridictions pénales ou civiles, comme il peut l’être si on recherche sa
responsabilité en droit public.
Il faut donc
aller au bout de la logique et des demandes de justice actuelles ou à venir et
donner aux juges le droit de trancher ce
qui fondamental, ou est très important,
moins important ou secondaire, à la condition que ceux qui sont condamnés ou perdent
leurs procès ou ne sont pas contents d’une décision, se taisent , ne crient pas
au scandale, ne demandent pas un recours auprès du comité des droits de
l’homme de l’Onu, ou à la justice internationale
,ou au pape ,ou à telle autorité spirituelle. Le
gouvernement des juges est un fantasme
car on peut instaurer un pouvoir judiciaire encadré par des règles
précises et contrôlables qui est encore
préférable à la chienlit permanente verbale ou violente, à la paralysie des
institutions et à l’impossibilité de
réformer dans l’intérêt général, ou à la contestation permanente et au droit instrumentalisé .Ou encore à la
tyrannie des réseaux sociaux avec ses procureurs auto-proclamés qui rendent des
verdicts sans appel, et avec ses minorités qui crient à la vindicte populaire. «
Ave Caesar Morituri te salutant » :
ceux qui vont mourir te saluent comme disaient les gladiateurs à l’empereur ou au dictateur du moment. L’autorité
judiciaire est actuellement traitée selon son statut inférieur aux autres pouvoirs en
qui le peuple a perdu confiance et qui ne prennent pas toutes les
responsabilités électives qui leur incombent ce qui laisse du vide et ouvre la voie à n’importe quoi .Puisque la
justice est rendue au nom du peuple français issons la au niveau d’un pouvoir.
Montesquieu qui aimait les contre- pouvoirs et donc pas la démocratie directe
et sauvage et la séparation des pouvoirs
n’aurait pas, je pense, été gilet jaune ? et dans sa tombe il sera ainsi content .Notre démocratie se
grandira.
L’ère de
la justice est donc arrivée. Ce n’est ni utile ni urgent de se presser.
Attendons de le faire entre deux périodes électorales, ce qui assez rare en
France il faut le reconnaitre, mais mettons nous- y. Que l’on fasse des études, que l’on réfléchisse
et que l’on propose un projet inspiré d’exemples étrangers ou sui generis
puisque nous avons une vocation universelle, dans une discussion apaisée avec tous
les acteurs concernés , les politiques, les professionnels ,les justiciables.
La justice est une organisation mais aussi une valeur ou vertu. Nous avons
besoin de principes qui nous dépassent au- delà de réponses comptables ou
matérielles. C’est en nous réconciliant sur l’essentiel que nous mettrons fin à
nos querelles-pas à toutes et pas tout le temps car nous sommes des gaulois
réfractaires parait-il -car un peuple ne réussit que s’il est soudé par un destin commun et des principes partagés.
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