mercredi 24 juin 2020

Quand la parole est au peuple


                            Quand la parole est au peuple.
     Billet d’humeur par Christian Fremaux avocat honoraire et ancien élu local.
La démocratie directe ou participative qui consiste à écarter les élites qui seraient hors-sol et ne comprennent rien aux desideratas simples du peuple qui n’a pas besoin d’avocats, est un art difficile. En quoi quelques citoyens qui donnent leurs avis sont -ils plus légitimes que ceux qui se sont frottés au suffrage universel, ont des responsabilités morales et de droit et doivent rendre compte de ce qu’ils font ? sachant en outre que le peuple est traversé d’exigences contradictoires.
Le président Macron a voulu tenter une expérience de donner la parole au peuple en créant une convention citoyenne pour le climat avec 150 citoyens. Bravo, voyons cependant le principe et les résultats.
On se rappelle naturellement la crise violente des gilets jaunes et leurs prises incontrôlées de parole, dont la révolte est partie notamment d’un projet de taxe carbone ; qui ne voulaient pas que l’on réduise la vitesse sur les routes à 80 kms/heure ; qui demandaient que l’on s’intéresse à la fin du mois plutôt qu’à celle de la planète ; et qui exigeaient l’instauration d’un R.I.C. référendum d’initiative citoyenne qui leur fut sèchement refusé, à juste titre.  Le président a cependant débloqué 17 milliards d’euros pour calmer la grogne, pour eux qui comme tous ceux qui étaient pacifistes et ne souhaitent que de vivre en paix en changeant ce qui ne va pas donc des citoyens raisonnables et civiques tout simplement, ont subi la grève des transports, puis les manifestations contre la réforme des retraites et enfin le confinement. Les gilets jaunes ont dû faire grise mine quand ils ont vu qu’on ne les avait pas pris vraiment au sérieux selon eux alors qu’ils étaient des milliers, mais que l’on créait pour 150 citoyens un cadre officiel qui devait déboucher par des mesures que le président de la république s’était engagé par avance - imprudemment selon moi mais je ne suis rien - à faire prospérer. Y aurait-il plusieurs peuples, ou sous -catégories selon la cause que l’on défend et d’où on vient et qui composent les porteurs de réclamations. Avoir l’appui des médias et des bien- pensants compte aussi pour beaucoup. Le peuple des campagnes n’est-il pas équivalent à celui des villes ou des bobos ?
 Il est possible que l’on revoie du jaune à la rentrée qui deviendra de couleur arc-en -ciel puisque le noir s’est imposé récemment dans le débat, car la convergence des luttes à laquelle aspirent tous les candidats pseudo révolutionnaires et les mécontents pour diverses raisons, est attendue sinon espérée par les plus radicaux en septembre. Mais par quoi remplacer la république et la démocratie ? Que l’on me donne un exemple possible et qui existe de ce qui serait parfait. Et pas des pétitions de principe ou des postulats.   
Le peuple vient de se prononcer à travers le rapport des 150 citoyens tirés au sort dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat. 150 inconnus avec leurs croyances, intérêts, détestations comme tout un chacun sur plus de 67 millions d’habitants ce n’est pas beaucoup. On vient de constituer un cluster comme pour le covid-19 ou en français un foyer ou un club qui va se prendre pour une élite je le crains, et qui a proposé des mesures de décroissance dont je ne peux citer toute la liste à la Prévert, mesures votées à une simple majorité et non à l’unanimité ce qui relativise la faisabilité des suggestions. Alors qu’après la crise sanitaire qui se poursuit lentement, on a besoin de travailler plus et de relancer l’économie.
 La croissance est- elle compatible avec des mesures d’interdiction ( par exemple de consommer  contrairement à ses goûts et à son budget) ; de limitation (110 kms /h. sur l’autoroute et la prohibition  des centres- villes  aux véhicules dits  polluants) ; de punition contre les véhicules thermiques notamment  car on veut nous désintoxiquer de  l’usage de la voiture pourtant liberté fondamentale d’autant plus qu’on a fait voter une loi mobilités  mais on n’est pas à une injonction contradictoire de plus ; de taxations diverses (vive l’impôt) ; de répression très sévère  dont la création d’un crime pas moins  contre l’écologie  en « participant  au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires » : les professeurs de droit  pénal vont se mettre au travail pour en définir les conditions  juridiques ce qui implique de beaux débats comme pour la définition du crime contre l’humanité. Les spécialistes de droit constitutionnel s’arrachent déjà les cheveux. Et merci patrons de vouloir réduire drastiquement les libertés individuelles et publiques.
Manquait une nouvelle strate bureaucratique avec la création d’un défenseur de la nature haut fonctionnaire ou autorité indépendante à l’image du défenseur des droits que M.Toubon qui arrive au bout de son mandat incarnait. Pour être pratique sans créer un nouveau machin on aurait pu lui rajouter la mission de veiller à l’écologie.
 On ne connait évidemment pas la facture globale de ces projets merveilleux. Le club des 150 dont on espère que tous paient des impôts, n’a pas chiffré ses propositions et peut -être les membres pensent -ils que l’Etat passera à la caisse. Sauf que l’Etat c’est nous.  
On a échappé aux 28 heures au lieu des 35 par un sursaut de lucidité dans le contexte actuel c’est déjà cela ! Bien sûr tout n’est pas négatif car l’écologie appartient à tout le monde, et pas à EELV parti politique plus rouge que vert on l’a vu dans la campagne des municipales et il va de soi que nous devons prendre des mesures pour la transition écologique, qui comme son nom l’indique n’est pas pour demain matin. Il faut l’organiser sur le plan économique et social, trancher sur le nucléaire qui est un des éléments de notre puissance et souveraineté et savoir si ces perspectives s’inscrivent dans le contexte européen. 
Ce que je  déplore c’est que le peuple veut changer ma vie, me dicte ce que je dois manger ou boire et comment vivre, ou me déplacer sans prendre l’avion , ou aller à pied dans les centres-villes même si je viens de ma campagne ou de ma banlieue … tout ceci me paraissant quelque peu totalitaire pour reprendre une appréciation que l’on entend dans le débat public à l’encontre de notre gouvernement et du chef de l’Etat accusés de profiter de la crise pour instaurer une démocrature. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait le prince de Talleyrand –Périgord, une gloire aristocratique de l’époque connue pour ses mots d’esprit insolents !
Mais tout ce qui vient du peuple n’est pas parole sacrée, comme on l’a vu dans le passé avec les gouvernements du peuple par et pour le peuple qui se sont terminés dans le sang et souvent le retour à un ordre ancien. Je ne doute pas que les 150 soient de bonne foi et qu’ils pensent sincèrement que leurs propositions sont positives et feront progresser notre société en voulant faire mon bonheur, idée neuve en Europe comme le disait Saint-Just avant d’être guillotiné en Thermidor.  On verra ce que diront les plus de 40 millions de citoyens électeurs si le président décide de leur soumettre par référendum ou autre moyen des propositions issues du rapport de la convention pour le climat.  S ‘il biaise, s’il ne le fait pas il sera en porte à faux avec ses déclarations publiques, puis il devra faire la synthèse ou l’arbitrage entre la fin du mois et la fin de la planète sachant que qui trop embrasse mal étreint. Et qu’il y a peut- être d’autres priorités pour les mois et années qui viennent.
Mais puisque on semble vouloir écarter le régime représentatif qui consiste à élire librement des personnalités pour leur confier des missions et des objectifs précis, utilisons ce principe de désigner aléatoirement des citoyens pour qu’ils réfléchissent à d’autres sujets comme l’immigration, la sécurité nationale, le séparatisme, la délinquance, la justice, le rôle de l’Etat en ses fonctions régaliennes et dans la redistribution, avec la décentralisation, la souveraineté dans l’Europe… et les sujets graves sont légion. Si l’on veut que le peuple s’exprime il y a de quoi faire.
On joue donc le peuple présupposé réaliste, modéré et avisé contre la démocratie comme l’a expliqué en 2018 Yascha Mounk jeune universitaire américain en analysant la crise de la démocratie libérale et en particulier l’illibéralisme de la Hongrie, de la Pologne, voire de l’Amérique de M. Trump. On dénonce le populisme mais on veut que le peuple s’exprime. C’est le grand écart. Et en additionnant en peinture du jaune et du vert on obtient une couleur bizarre presque du kaki, ce qui ne rassure personne.
Quand on donne la parole à ceux que l’on ne voit jamais et qui n’ont pas l’habitude de pérorer comme les prétendus auto-proclamés experts sur les ondes et à la télévision ils l’utilisent et il ne faut pas s’étonner qu’ils en usent voire abusent car après tout ce qu’ils disent n’est que leur simple opinion, éclairée ou non, partisane ou neutre, banale ou intéressante.  Ils ne sont pas à blâmer.  Chacun a droit à son quart d’heure de gloire comme le disait Andy Warhol.  Mais reste à savoir si la démocratie a besoin d’eux et si elle se valorise ou devient plus transparente et répond aux attentes du plus grand nombre ? Le quidam devient une référence pour l’avenir. Je préfèrerai d’autres intervenants plus crédibles. Le diktat des minuscules ne passera pas.
Personnellement je ne vois pas en quoi la parole d’un citoyen de base qui n’est pas plus sincère que moi et qui n’a pas le monopole de la bonne foi, de la connaissance et de l’onction démocratique ou républicaine avec certes ses qualités, a plus de valeur que celle de quelqu’un qui a des responsabilités, de l’expérience des dossiers à multiples facettes, réfléchit, et propose. Je ne parle pas de mon humble personne qui a atteint son niveau d’incompétence depuis longtemps. Même si cette affirmation est considérée comme méprisante et la résultante de l’appartenance à une classe privilégiée pourquoi n’aurai-je pas aussi le droit à la parole :  qu’ai-je volé et à qui, quelle est ma faute ? Dois-je m’incliner devant 150 particuliers dont je ne sais rien, dont la désignation m’échappe, et me réjouir d’un tirage au sort ce qui renvoie à des jeux de hasard ou au loto.  Pourquoi ne pas utiliser la même méthode pour l’élection du président de la république : le suffrage universel c’est ringard, ça coûte cher, et le candidat à peine élu n’est plus considéré comme légitime.
Déjà on avait vu en 2017 les candidats à la députation de LREM être désignés en envoyant leurs CV par courriel. Les électeurs de chaque territoire ont subi.  On n’arrête pas le progrès mais je ne crois pas que la démocratie en profite.
J’ai entendu que les 150 seront reçus par le président de la république qui décidera des suites à donner, référendum selon l’article 11 ou 89 de la constitution ? ce qui me plairait avec des questions multiples ce qui serait innovant constitutionnellement parlant, avec le choix des thèmes par le parlement donc la loi, ou passage uniquement devant les députés et sénateurs, ou décisions réglementaires, tout est ouvert  mais le droit constitutionnel aussi qui interdit- sauf erreur de ma part- par référendum d’introduire des  modifications directes et éclectiques de la constitution qui n’est pas le réceptacle fourre- tout de la mode ou du politiquement correct.
 On peut aussi penser à un enterrement de 1ère ou 2ème classe avec des fleurs écologie oblige car il ne faut désespérer personne. Si on fait droit sans filtre à la volonté des 150 les principes supérieurs de droit qui garantissent la démocratie risquent d’être malmenés pour ne pas contrarier ces citoyens.
Le président de la république qui est habile devra jouer à fond de son « en même temps » pour concilier le futur et les contraintes du présent.
 Nos 150 vont se regrouper dans un club et deviendront ainsi ceux qu’ils dénonçaient, des experts et technocrates citoyens ce qui est un oxymore : vive l’ascenseur social et le mérite. On sait le monde complexe et que l’intelligence collective conduit parfois à des raisonnements curieux, et à des prises de décisions confuses et inopérantes dans  le temps..
La convention citoyenne pour le climat a eu au moins l’intérêt de poser des limites à l’expression de la démocratie directe qui n’est pas la panacée et plutôt un ersatz que les démagogues de tout horizon voudraient instaurer.  Cela incite à réfléchir à d’autres pistes de réforme de la démocratie pour l’aérer plus et faire participer davantage. Dans ce sens cette convention fut positive.   
La démocratie représentative classique ou malmenée par les réseaux sociaux et l’expression anonyme débridée voire haineuse et discriminante, est comme la république le pire des régimes à l’exception de tous les autres comme le disait Winston Churchill dont on déboulonne honteusement les statues ou en taguant les monuments rendant hommages à celui qui n’était pas l’homme idéal en tout, mais qui a sauvé le monde libre.
La parole a besoin de libertés et de pluralité pour être entendue. Le peuple n’appartient à personne. Si on veut son avis on l’interroge globalement. A M. Macron de choisir, et de nous informer quand il s’exprimera sur ce que sera la deuxième mi-temps du quinquennat. Par la magie de son verbe, c’est le peuple souverain qui parlera. La parole publique est un bien précieux qui ne peut être confiée à n’importe qui. On a besoin d’y croire, d’y adhérer en confiance si on veut que la démocratie vive.

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