L’Etat
a -t-il encore des droits ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire.
Les débats
qui opposent désormais parfois violemment les individus aux pouvoirs tournent
autour du même thème : l’Etat peut- il imposer une contrainte quelconque à
un citoyen qui se revendique de ses libertés comme par exemple celle de
faire ce qu’il veut de son corps et de sa santé serait- ce contraire
à l’intérêt général ? La pandémie qui n’en finit plus illustre cette
question. L’Etat qui défend l’intérêt collectif a-t-il des droits ? Chacun
a pu constater que les démocraties selon le modèle occidental affrontaient les
mêmes écueils. Les autres démocraties sont souvent plus proches de
l’autoritarisme, de la dictature ou sont des théocraties chez qui on n’ergote
pas et où l’on commande sous peine de sanctions parfois définitives.
Dans les
régimes libéraux avec toutes sortes de nuances sur cette appellation, le quidam
pour qui on gouverne n’accepte plus de suivre aveuglément les lois bien que
discutées et votées selon le processus législatif si elles sont contraires à
ses convictions ou à sa conscience ou pour d’autres motifs personnels. La
désobéissance civile est revendiquée. Des groupes de citoyens refusent de
suivre des injonctions gouvernementales au prétexte que les dirigeants n'y
connaissent rien car ils sont loin de la base et que les experts ou les technocrates
n’ont pas de bon sens. Ou sont accusés de vouloir imposer une doxa qui vient de
l’extérieur comme l ‘union européenne. Chaque individu considère que la
démocratie est faite pour qu’il puisse exercer ses droits et que les devoirs
concernent les autres.
La
démocratie telle qu’elle existait jadis n’a plus la même signification pour
beaucoup de personnes. Traditionnellement elle était la gouvernance par et pour
le peuple à travers des corps intermédiaires et l’élection par le suffrage
universel donnait la légitimité. L’Etat incarne cet équilibre librement
consenti. La constitution fixe l’organisation des pouvoirs qui doivent se neutraliser
de toute tentation hégémonique entre eux et faire en sorte qu’il ne puisse y en
avoir un dominant. Ce n’est pas le règne absolu de la majorité (silencieuse)
car les minorités sont protégées et entendues. L’état de droit permet de saisir
la justice et de faire triompher son bon droit et ses doutes. L’Etat
représentant la volonté générale était respecté et suivi. Ce n’est plus le cas.
Même si les devoirs n’ont pas été détaillés par la déclaration des droits
de l’homme, l’individu en connait la portée et sait que les valeurs
républicaines celles qui sont communes à tous et permettent l’union doivent être
suivies car elles visent l’universel donc le bien. A quoi désormais sert
l’Etat ?
L’individualisme
a grippé la machine. Il se confond avec l’humanisme. Au nom de sa liberté
chacun veut imposer ses choix aux autres quitte à ne pas participer à l’effort
de tous. En fonction de ses certitudes et de qui on se croit, on n’a jamais
prononcé autant d’interdictions. Il suffit de se dire choqué et on obtient
satisfaction : l’Etat recule ou se
couche. S’exprimer devient délicat puisque désormais ce sont les tribunaux qui déterminent
ce qu’il est possible de dire ou non. Manger et boire, conduire et rouler, se chauffer,
vivre comme on l’entend sont sous la vigilance des procureurs de morale. On est
requis d’approuver tout ce qui est dit progressiste de l’humain au vivre ensemble.
Et tout ce qui n’est pas dans les normes des minorités est nauséabond, rance.
Le nez remplace l’esprit. Cyrano de Bergerac aurait beaucoup de travail. Je
n’entre pas dans le débat de ce qui est une chance pour la France. Chacun a sa réponse
valable à condition qu’il y ait nation c’est- à- dire le partage de valeurs
acceptées par tous, un destin commun, des efforts à égalité et la tolérance
pour l’ensemble. Il ne peut y avoir des plus égaux que d’autres ou des communautés
à part pour diverses considérations. C’est pourquoi on a besoin d’un Etat
puissant et agile pour que les règles du jeu public soient respectées.
L’Etat symbolisait
jadis la neutralité et permettait l’application des principes. Si nécessaire il
l’ordonnait. C’est changé. Il n’a jamais été autant décrié. Il est attaqué
en justice pour des raisons multiples. L’Etat est un justiciable comme un
autre. Les tribunaux lui donnent des injonctions de faire sous peine
d’astreintes. L’exécutif est sanctionné, le législatif l’est aussi. On lui
demande d’être principalement un distributeur de droits sur le bien- fondé
desquels il n’a pas à porter d’opinion. Certains lui préfèrent les comités
citoyens, pensent qu’avec quelques clics la consultation populaire est faite et
doit être entendue. La vox populi et l’émotion vaudraient loi ce qui serait de
la démocratie directe.
Chacun a pu
constater que l’Etat n’avait plus le monopole de la violence légitime. Des
groupes sont violents au prétexte que l’Etat les provoquerait notamment
socialement, qu’il domine, qu’il réprime, qu’il est liberticide. On combat
ses fonctions régaliennes. L’Etat ne doit plus être le garant de la cohésion
nationale mais le gérant des polémiques et le pompier des incendies causés
volontairement dans tous les domaines : les incendiaires se revendiquent
de sa protection. L’Etat n’est plus considéré comme le défenseur naturel de
l’intérêt général. Il est en concurrence avec des particuliers qui pensent
détenir la vérité et qui n’ont que les mots libertés et démocratie à la bouche
et avec des entités qui ne voient que leurs avantages. L’Etat est vilipendé
lorsqu’il ose évoquer des devoirs ou des contraintes justifiées.
Il doit obéir aux oukases et il doit exécuter ce que la rumeur
propage.
N'est
pourtant pas louis XIV qui veut pour dire l’Etat c’est moi. Il y a manifestement
des usurpations d’identité. On craignait l’Etat Léviathan ou Big Brother mais
l’Etat s’est vidé de sa substance et il est devenu un moyen au service de
quelques-uns et des plus bruyants. La bureaucratie anonyme qui sert l’Etat a
augmenté au point de tout compliquer. Mais on n’a pas rénové l’Etat ce qui devrait
être un sujet de la campagne présidentielle pour définir ses fonctions
prioritaires et lui donner des moyens avec de l’autorité.
J’aimerai
que l’on m’explique comment la société marcherait sans Etat, sans règles
obligatoires, sans directions ou objectifs, pour assurer la protection, la redistribution,
la solidarité, l’égalité, les libertés et le respect des autres.
L’état de
droit permet de vérifier que le pouvoir n’abuse de rien, qu’il respecte
les lois et règlements, favorise les libertés et donne l’exemple. Le peuple est
souverain mais il a besoin d’être dirigé selon son consentement à travers les normes
légales et l’Etat. C’est le pacte social. Ne dégageons pas ce qui marche mais réformons-le
par plus de participation citoyenne. Tout pays privé d’Etat court à la catastrophe.
Ne galvaudons pas la démocratie républicaine en faisant preuve de démagogie et
d’utopie. A ce sujet le chancelier d’Angleterre Thomas More en a perdu sa tête.
Il était aussi humaniste.
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