Ordre
illégal et désobéissance civile à l’aune de
l’ennemi invisible.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
On assiste depuis
quelques jours à une fronde de certains élus de tous bords (à Marseille notamment),
de professionnels qui souffrent comme les propriétaires de bars et restaurants,
et de particuliers contre les mesures de précaution prises par le gouvernement
pour lutter contre l’extension du covid-19 et pour éviter un reconfinement
généralisé. Qui peut être contre ? L’autorité-ou ce qu’il en reste- est mise en
cause, ce qui est peu nouveau, et on ne veut pas respecter la loi ou les
contraintes générales. Cela pose le principe du rapport à la loi. L’individu
pour des raisons propres ou des intérêts personnels peut-il s’exonérer en toute
bonne foi de ce qui soude le collectif mais qui ne lui plait pas à lui
personnellement ? L’Etat
est-il devenu un adversaire ? Seuls les droits individuels comptent-
ils ? Je crains que les lignes qui
suivent sur les théories ou les doctrines de la désobéissance en général -invoquée
pour justifier les refus de se soumettre- soient d’actualité. Ce qui met en
danger le pacte républicain déjà menacé dans sa cohésion. Surtout si des
intellectuels ou des responsables politiques appellent à ne pas faire ce qui est
demandé d’autant plus il faut l’avouer que parfois on ne voit aucune cohérence
dans les décisions de l’Etat voire des contradictions internes, et surtout
malheureusement avec peu de succès.
Dans cette période de
pandémie beaucoup plus confuse que par le passé où ne planaient pas de risques
pour la santé mais des menaces identifiées, s’y sont ajoutées l’anxiété et la
peur car il y a des inconnues de toutes natures importantes à court et moyen
terme. Même si les réactions ou revendications parfois brutales de diverses
catégories sociales comme celles des individus durent depuis très longtemps on
l’a vécu ces derniers mois, on a pris la mauvaise habitude par manque de
courage pour ne pas faire de vagues donc à tort, de constater que certains ne
respectent rien dans le courant ordinaire de la vie. Ce n’est donc pas faire un
procès d’intention à quiconque de déplorer que pour toute décision publique il y
a un refus de l’autorité, une répugnance à appliquer la loi, à considérer que
toute disposition impérative voire toute simple recommandation, toute
instruction générale sont inacceptables et abusives, à ne tolérer aucune
contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du
bien.
Cette rébellion ou
pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter,
dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun
d’entre nous doit l’affronter : par exemple dans la famille
avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les
enseignants ; dans l’entreprise où la moindre remarque est
considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice
où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère
publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus
démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus légitime et il est
soupçonné de prendre des mesures dangereuses voire régressives pour les droits
acquis, de limiter les libertés individuelles et publiques au nom d’un objectif
non avoué, et de prendre des décisions que l’on ne peut
accepter. Car seule l’opinion publique a raison, c’est -à- dire une
infime partie de la minorité qui prétend savoir de source sûre et avec
certitudes pour tout, ce qu’il faut faire. Avec la crise sanitaire
des sommets sont atteints avec les prétendus experts et les spécialistes du
bavardage qui conduit au néant, qui réinventent le passé et avaient tout prévu.
Je ne sais pas si le
« nouveau monde » voulu au moment de l’élection présidentielle mais
désormais différent que l’on nous promet pour après la crise changera cet état
d’esprit ou si les habitudes de l’ancien monde ressusciteront. J’espère que les
vieux démons ne resurgiront pas. Notre monde actuel est devenu un
mode d’empêcher de gouverner en rond, sans avoir la moindre responsabilité et
je pense à des médias en particulier, sans répondre de ses actes si on se
trompe, au prétexte que la démocratie est une vérification permanente par le
peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et qu’il est normal de s’opposer ou
de dire non y compris par la violence. C’est de la vigilance active voire
activiste dans le cadre d’un régime représentatif. Ce n’est pas ma conception
de la gouvernance qui doit être évidemment contrôlée par les instances
institutionnelles et l’application de la constitution, au nom du peuple qui
n’appartient à personne même pas aux beaux esprits se disant plus éclairés que
d’autres, mais comme je suis un senior qui a failli être confiné à vie, je dois
être un has been. Je l’assume.
On a bien vu cette
tendance avec les violations des mesures concernant le confinement, les
millions de contrôles, les centaines de milliers d’infractions, les PV dressés
et les renvois devant les tribunaux. Avec le déconfinement on constate encore
plus de protestations et d’indignations sur les mesures du plan global de
redressement comme on dit au tribunal de commerce pour faire repartir les
activités et donc la croissance, pour déterminer qui fera les efforts, qui
paiera la note finale, malgré l’explosion de la dette publique
qu’il faudra un jour rembourser nous ou les générations futures que l’on
veut préserver ? Chacun aura sa bonne idée. Celle qui vise surtout les
autres.
Malgré les milliards du plan de relance venu
de l’union européenne et un pognon de dingue qui est injecté, va-t-on aller
sournoisement vers la solution facile de l’ancien monde d’un impôt dit du
coronavirus, plutôt que d’innover et d’imaginer d’autres solutions qui toutes,
soyons réalistes, demanderont des efforts. Surtout que le processus innovant
lié au déconfinement - reconfinement ciblé sera progressif et que des commerces
risquent de souffrir plus tard que d’autres ce que je déplore pour les
entreprises les plus fragiles mais bonnes pour le moral comme les bistrots
restaurants et hôtels, marchés et spectacles. Le rétropédalage est aussi
un moyen d’avancer si je peux dire, et de n’être pas contre -productif.
Revenons à mon approche un brin partiale je l’avoue sur l’autorité mot qui
fait geindre, et son non- respect.
Je voudrai me
tromper et croire qu’il va y avoir un consensus, un défi commun, et un
enthousiasme à tous relever les manches. Mais on assite à une vague de refus
plus ou moins motivés, plus ou moins dans l’intérêt général, qui va renforcer
l’esprit de désobéissance qui nous anime. Et la détestation de recevoir des
ordres même élaborés démocratiquement. Guignol rosse le gendarme sous les
applaudissements. C’est le sujet de ces lignes.
N’en faire que selon
ses désirs est devenu un sport national, une manière de vivre et d’être, de se
croire rebelles -sans risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics
tout en profitant des avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas moi
comme le disait Louis XIV mais nous, tous les citoyens. Refuser d’obéir, de se
soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un
principe supérieur à toute autre considération, en particulier si elle nous
concerne. L’intérêt général devient secondaire.
On doit se rappeler ce
que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie
française et homme politique : « entre le fort et le faible,
entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté
qui opprime et la loi qui affranchit ». Examinons cependant deux concepts :
l’ordre illégal et la désobéissance civile.
La 1ère catégorie
de désobéissance consiste pour un militaire surtout (un fonctionnaire aussi) à
ne pas exécuter un ordre qui lui parait illégal. C’est la théorie des
« baïonnettes intelligentes ». L’article 122-4 du code pénal précise
que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte
commandé par l’autorité légitime sauf si cet acte est manifestement
illégal ». La difficulté en justice est de savoir comment on interprète le
« manifestement illégal » : un ordre exagéré, mal conçu, ambigu,
mal formulé… ne correspondent pas forcément à la définition, ni celui qui est
contraire à sa conscience. J’ai plaidé jadis quelques dossiers de ce genre
quand le tribunal aux forces armées existait encore. Ce fut toujours
difficile en faits, en sémantique, en morale, donc en droit. Je donne l’exemple
atypique et ancien des gendarmes qui sur ordre du préfet ont mis le feu à des
paillottes sur une plage corse. Ils ont été condamnés. Mais cette théorie veut
dire aussi que désobéir à l’autorité est admis par la loi dans des conditions
très strictes cela va de soi.
Dans le cadre de la
crise du coronavirus, des mesures qui restreignent les libertés individuelles
pour un temps déterminé avaient été votées dans le cadre juridique de l’état
d’urgence sanitaire, et le confinement a été ordonné. On a déconfiné mais on
peut retourner à cet état ancien selon les endroits. La menace plane, la peur
rôde. L’ordre public est légal. Les
pseudos résistants à son application qui inventent des prétextes aussi farfelus
que dérisoires pour circuler librement, se réunir entre copains ou famille,
continuer à vivre insouciants sont dangereux pour eux -mêmes, leurs proches, et
tous ceux qu’ils croisent. Cela me permet d’aborder un autre aspect de la
désobéissance.
La 2ème catégorie
de désobéissance concerne ceux qui sont persuadés de détenir la vérité, par
exemple sur le réchauffement climatique ou l’environnement en général, avec la
décroissance nécessaire, et qui dénoncent la main nocive de l’homme partout
notamment avec les méfaits de la finance. Ils occupent des terres, ils se
battent pour que tel projet soit abandonné. Ils savent tout en matière de
virus et ne croient pas les spécialistes …Ils n’ont pas tout faux, mais ils
n’apportent aucune vraie solution. Avoir des intuitions ou des certitudes non
vérifiées et validées (voir la polémique actuelle sur les médicaments ou le
vaccin) ne garantissent pas des résultats heureux. Et le pouvoir ne peut
prévoir des politiques publiques sur des hypothèses. Tout chef d’entreprise le
sait. On ne joue pas à la roulette russe avec la santé, ou l’économie.
Comme on a les modèles et les penseurs que l’on mérite, je cite mon maître
du bon sens Coluche qui définissait le capitalisme « comme l’exploitation
de l’homme par l’homme, et le syndicalisme par le contraire ».
Les militants qui
désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de
poing avec les forces de l’ordre, utilisent le concept de désobéissance civile
pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et
poète né en 1817 à Concord (usa) Henry David Thoreau. En juillet
1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester
contre l’esclavage dans le sud du pays et la guerre au Mexique. Il ne va passer
qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide
de théoriser son action sans oublier « le discours de la servitude
volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est
une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte
antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. Ce texte de La Boétie traduit le
désarroi d’une partie de la population souvent cultivée devant la réalité de
l’absolutisme. La question est : « pourquoi
obéit-on ? ».
Avec la désobéissance
civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent
injustes. On s’interroge : « le légal est-il juste ? »
alors que l’on est en république et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à
penser que l’Etat est totalitaire. On en appelle à la conscience
personnelle, aux valeurs qui nous motivent, à la définition du bien et du mal,
à l’intérêt collectif outre à l’impuissance des Etats face à des firmes
mondialisées.
On connait les
désobéisseurs collectifs (les anti-zadistes) qui défendent une cause et les
quasi- professionnels proches des mouvements anarchistes, nihilistes ou anticapitalistes.
On a pu vérifier que la violence était un moyen d’action fréquent. Dans une
démocratie c’est intolérable.
Il y a
aussi des désobéisseurs individuels qui font passer l’humain avant tout comme
récemment M. Cédric Herroux agriculteur installé près de la frontière
franco-italienne qui aidait les migrants illégaux. Son cas a fait
progresser le droit. La cour de cassation par le biais d’une QPC a interrogé le
conseil constitutionnel qui a jugé que le principe de la fraternité à but
humanitaire bien sûr, faisait désormais partie de notre bloc constitutionnel
comme la liberté et l’égalité de notre devise [décision du 6 juillet
2018].
Une société moderne
complexe par définition qui ne sait pas répondre immédiatement à ce qui n’est
jamais arrivé et est imprévisible, ou qui envisage les meilleures décisions
pour l’avenir par des réformes, ne peut bien fonctionner qu’avec l’acceptation
par le plus grand nombre des lois et règles votées démocratiquement. C’est de
la responsabilité de chacun. Certes il n’est pas interdit d’avoir une confiance
raisonnée envers nos décideurs et de conserver l’esprit critique, car nul n’est
parfait et on peut se tromper. Mais la désobéissance pour avoir raison ou par
principe ne peut mener qu’au désordre civique, à l’incapacité d’agir, à la
chienlit aurait dit le général de gaulle. La vérité est protéiforme et seule la
légitimité démocratique par l’élection permet de progresser. La désobéissance
conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques.