SOUVENIRS JUDICIAIRES
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local
C’était il y 20 ans et plus…
Ce 6 février 2018 le Président de la République Emmanuel Macron a commémoré sur place à Ajaccio le souvenir de l’assassinat du Préfet Claude Erignac par un commando comprenant Yvan Colonna. Il s’agissait de rendre hommage à un homme sacrifié sur l’autel de la politique par la violence, et montrer que l’Etat se continue, qu’il ne cède ni aux menaces ni aux attaques -internes comme externes - et que l’autorité républicaine ne se délite pas en fonction de la conjoncture électorale qui a vu arriver au pouvoir les autonomistes.
Le Préfet Claude Erignac a été tué le 6 février 1998 alors que sans arme, sans protection policière, à pied il rejoignait son épouse au théâtre. Il fut exécuté par trois balles tirées dans le dos.
J’ai participé comme avocat partie civile à tous les procès contre les membres du commando et Yvan Colonna qui ont duré de 2003 à 2011 devant la cour d’assises anti- terroriste de Paris. Ce furent des procès difficiles sous le feu des projecteurs, des médias qui guettaient informations, rebondissements, polémiques, commentant témoignages et déclarations des uns et des autres ; avec un large public dont les familles des personnes poursuivies, acquis à leur argumentation et certains de l’innocence d’Yvan Colonna…
Avant de tuer le préfet quelques mois plus tôt le commando avait attaqué de nuit la gendarmerie de Pietrosella. Tandis qu’une partie du commando faisait sauter par explosif les bâtiments, conformément à l’usage ! l’autre partie des membres avait pris en otage deux gendarmes, leur avait mis une cagoule ou plus exactement un sac sur le visage pour qu'ils ne voient rien ce qui ajoute à la peur, les avait baladés dans le maquis en leur annonçant qu’ils allaient être exécutés. Finalement ils relâchèrent les gendarmes qui n’oublièrent pas le traumatisme qu’ils avaient subis. Mais en s’enfuyant le commando vola les deux armes de service des gendarmes qui furent déposées comme signature, pour rappeler le premier défi à l’Etat, au pied du cadavre du préfet le 6 février 1998.
Je ne reviens pas sur le fond des débats qui appartiennent à l’histoire judiciaire sauf pour dire que la défense des membres du commando - Yvan Colonna plaida qu’il était innocent de tout - se résuma notamment à soutenir qu’il n’avait pas voulu tuer l’homme, mais qu’il avait éliminé le représentant de l’Etat qu’il détestait et qui était responsable depuis des années des difficultés du peuple Corse.
J’étais partie civile pour un gendarme. Me Caty Richard pénaliste de grande qualité assistait l’autre gendarme. L’Etat était représenté par le talentueux et incisif Me Benoit Chabert. La famille Erignac, sa veuve Dominique et ses enfants qui ne manquèrent aucune audience, en étant dignes et sans haine malgré ce qu’ils entendaient, était défendue par le célèbre Me Philippe Lemaire. Robert , frère de M.Claude Erignac était défendu par Me Vincent Courcelle -Labrousse pénaliste confirmé.
La défense du commando comprenait des avocats de talent et était notamment assurée par Me Vincent Stagnara bâtonnier du barreau de Bastia. Ce confrère fera une chute du troisième étage de son immeuble et disparaitra en 2010. Le procès du commando se termina le 11 juillet 2003. Les deux principaux protagonistes furent condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité (ils sont toujours détenus) ; des complices à 30 ans (qui furent ensuite acquittés) et les autres membres à diverses peines de prison.
Le 4 juillet 2003 donc quelques jours avant la fin du procès du commando, Yvan Colonna que toutes les polices de France et de Navarre recherchaient, fut capturé dans le maquis , pas loin de son port d’attache à savoir Cargèse. On s’interrogea pour savoir s’il fallait suspendre le procès du commando. Après discussions animées il n’en fut rien .Yvan Colonna principale « vedette », « bénéficia » d’un procès rien que pour lui, plus tard.
Le procès d’Yvan Colonna débuta en fin 2007. Il fut condamné, il fit appel en 2009 : à l’audience il se fâcha, quitta le box, et ses avocats le suivirent. Il fut encore condamné. Il y eut un pourvoi en cassation et le dernier procès eut lieu en juin 2011. Il fut une nouvelle fois condamné le 20 juin 2011 à la réclusion criminelle à perpétuité, sans peine de sûreté. Son pourvoi en cassation fut rejeté, de même que son recours devant la Cour Européenne des droits de l’homme. Il purge sa peine sur le continent, et non en Corse ce qui est selon lui et ses avocats une double peine.
Me Philippe Lemaire défenseur acharné de la mémoire et de l’action du préfet Erignac, décéda quelques jours après l’ouverture du dernier procès contre Yvan Colonna. Il fut substitué par Me Yves Baudelot pénaliste de grande notoriété.
Me Stagnara avait été remplacé par le rugueux Me Antoine Sollacaro bâtonnier d’Ajaccio. Il sera abattu en 2012 sur son île par des tueurs qui lui logèrent des balles dans la tête alors qu’il faisait le plein d’essence de son véhicule.
Yvan Colonna fut défendu outre par Me Sollacaro par des avocats pénalistes de grands talents dont Me Dupont-Moretti, Me Maisonneuve ; Me Garbarini ; Me Dehapiot. Et surtout par Me Gilles Siméoni ayant une connaissance stupéfiante des volumineux dossiers, accrocheur et pugnace. L’histoire est passée. Me Siméoni est désormais un homme politique, maire de Bastia et président de l’exécutif Corse, c’est-à-dire selon les autonomistes de « l’Etat Corse ». Il doit donc composer avec le représentant de l’Etat sur place puisque il a un devoir de responsabilité. Il n’a pas dû apprécier le discours du président de la république le 6 février disant notamment que l’exécution d’un préfet était inacceptable et ne se plaidait pas ? Il va devoir gérer ses contradictions.
Me Jean-Guy Talamoni, avocat, devenu aussi homme politique, élu régional et actuel président de l’assemblée Corse, était un témoin récurrent pour tous les procès. Il a refusé, je crois, d’écouter le président de la république.
L’accusation fut soutenue par des avocat(e)s généraux de grande qualité et les présidents successifs, malgré la tension , l’opinion publique corse, des attaques diverses, surent mener à bien et à terme les procès. Il y eut de multiples coups de theâtre et surprises. Ainsi lors du dernier procès d’Yvan Colonna le directeur de la police nationale en personne qui venait témoigner fit état d’une lettre qui avait été saisie, lettre envoyée de prison à prison selon des modalités non éclaircies par Yvan Colonna demandant à un membre du commando de l’innocenter. Cette lettre fut beaucoup discutée, tant sur sa véracité que son origine. Les avocats d’Yvan Colonna se posèrent même la question de savoir si ce n’était pas un faux émanant d’une officine. Il y eut du tumulte. Le Président Hervé Stéphan remarquable, réussit à rétablir une certaine sérénité des débats, et le procès prit fin avec la condamnation d’Yvan Colonna.
Ce sont ces souvenirs qui me sont remontés à la mémoire le 6 février dernier.
Aucune cause surtout politique dans notre démocratie ne justifie l’assassinat d’un homme, fût -il le représentant d’un Etat exécré. Le commando a ajouté du malheur au malheur. Les membres se sont trompés. Ils ont voulu à quelques uns -quel culte du moi- modifier le destin de la Corse et faire céder la République. Ils ne pouvaient réussir. Ils le paient de leur liberté ce qui n’est que justice, car l’Etat c’est-à-dire tous les français ont été touchés par la mort de l’homme aussi préfet, et la famille Erignac souffrira à vie.
C’est à Mme Erignac toujours droite et mesurée que revient le dernier mot : « oublier un crime est un crime…j’espère que la République ne faillira pas. »
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