Réforme
judiciaire :un nouveau tribunal est né à BFM.TV ?.
Par Christian
Fremaux avocat honoraire et élu local.
Beaucoup d’ avocats
de France protestent car la réforme de la carte judiciaire concoctée par Mme Belloubet Garde des sceaux va
entrainer la suppression de tribunaux ici et là sur le territoire. C’est un
problème de société sérieux. Des barreaux
sont directement concernés, et la justice près du justiciable risque de
disparaitre. Mais les médias veulent occuper la place et au nom de leur devoir
d’information tout azimut ils jugent en direct. Ce ne sont plus des comptes
rendus judiciaires comme avant, mais de véritables procès qui ont lieu en
quelques minutes.
Je regarde
régulièrement BFM TV notamment à 19 heures où la distribution est souvent la
même : un thème de débats et quatre intervenants. Et Mme Ruth Elkrief
comme présidente d’audience-dans tous les sens du terme , en toute impartialité
cela va sans dire. Quand il s’agit d’une affaire judiciaire ou d’un problème de
droit, on retrouve toujours les mêmes acteurs : un journaliste politique
qui est compétent quel que soit le sujet
économique, social, culturel et naturellement judiciaire ; un
sachant expert pour tout et rien ; un ancien magistrat qui lui connait le sujet ; un avocat
parfois ; et un généraliste ou un sondeur. Je n’ai jamais eu autant d’informations
sur les sondages en toutes matières qui
sont désormais la vox populi qu’il faut suivre sinon on est marginalisé. Et on
fait le procès en direct, on s’interroge sur la défense hasardeuse du mis en
examen, des preuves de l’accusation que l’on connait par ouï dire ; de la
réaction du public, et on critique ce qui ne va pas aux yeux de ce tribunal des médias formé pour l’actualité
du jour. Naturellement il y a parfois des intervenants qui expliquent à juste
titre ce qui se passe et sont très compétents en faisant œuvre pédagogique. Mais
il n’y a quasiment jamais l’avocat du prévenu ou de l’accusé qui pourrait faire
connaitre la position de son client, sa personnalité, ce qu’il réfute, pourquoi
il a agi ou non… On s’indigne, on se met à la place des victimes, on rappelle
ce que pensent les français - personnellement on ne m’a jamais interrogé ?-
et on décide à demi-mot voire clairement que la personne poursuivie est coupable.
Je n’ai pas encore entendu, mais je dois être un peu sourd, que telle personne
poursuivie devait être innocente. Car bien sûr on souligne que la présomption d’innocence
est capitale et que la vie privée doit être respectée, mais on les piétine
allègrement au nom de la liberté de l’information .Personne n’a lu le dossier
puisque seuls les avocats et les magistrats chargés du procès y ont accès :
nos experts ont eu des informations de façon indirecte par des confidences qui
violent soit le secret professionnel soit celui de l’instruction soit le principe
du contradictoire dans tout débat, et
qui sont diffusées dans l’intérêt de celui qui les communique, donc ne sont ni
fiables ni objectives. Mais nos experts concluent sans réserve généralement, de façon
péremptoire, générale et définitive sans argument de droit ou autre, à quoi d’ailleurs
cela servirait-il, sauf à perdre du temps !. Il faut que le public qui n’y
connait rien , soit éclairé par ceux qui
savent, l’élite compétente erga omnes qui
ne doute pas , et qui suivent la plupart du temps l’indignation de l’opinion
publique, cette catin comme l’appelait Me Moro-Giafferi qui voulait la voir être chassée du prétoire, car elle tire le
juge par la main.
L’affaire de
M.Jawad Bendaoud dit le logeur de Daesh pour avoir abrité trois terroristes qui
ont attaqué le bataclan, est typique. L’opinion est indignée et hurle à la
condamnation et ce n’est pas moi qui va dire le contraire. Mais il y a des limites à ne pas franchir dans
un état de droit car si on fait des exceptions pour M.Bendaoud, elles peuvent se reproduire et être dangereuses sur le
principe.
BFM TV
devrait être plus en retrait quand on se rappelle qu’elle a interrogé en
direct M .Bendaoud au moment où les forces de l’ordre donnaient l’assaut à
l’immeuble à Saint Denis où étaient logés les terroristes, et lui a donné la
parole dont il a profité. Celui-ci a pu dire combien il était surpris d’avoir
logé des terroristes et combien il était de bonne foi ! (sic) .La France entière
a ri de cette déclaration bien que les faits soient dramatiques. Puis l’enquête a commencé et on a appris la réalité
de la personnalité de ce logeur qui se déclarait innocent.
Sur BFM TV
vendredi 26 janvier à 19 h. il y a eu une émission sur le cas Bendaoud avec aux manettes Mme Elkrief qui a dirigé
les débats, puis un journaliste politique M.Gattegno, un journaliste polémique
M.VaL, une ancienne magistrate qui a présidé
la cour d’assises Mme Bernard-Requin , et mon excellent confrère Me Thibault de
Montbrial partie civile (il y en des centaines ce qui explique l’émotion dans
ce dossier qui n’est pas celui des terroristes) dans le procès contre M.Bendaoud
et qui sortait de la vraie audience. Débat intéressant par ailleurs . Ce qui m’a
chagriné c’est qu’aucun membre de la défense de M.Bendaoud n’ait été convié ou
se soit déplacé ? et que l’on organise
un quasi débat sur la culpabilité alors que le procès est en cours.
Pourtant il
y a un précédent récent qui a eu lieu en décembre dernier. Le procès devant la
cour d’assises de Bobigny de M.Georges Tron ancien ministre et député accusé je crois d’agressions sexuelles et viols,
a été renvoyé à une date ultérieure à la demande de la défense et ce avec
raison, notamment parce qu’une émission
de télévision a été diffusée pendant le procès, émission qui n’était pas à la
gloire de l’accusé.
La justice
ne doit pas être un spectacle et on n’est
pas dans les jeux du cirque. Le devoir d’information des médias ne doit pas se
substituer au devoir d’impartialité et de réserve et ce quelque soit la
personne poursuivie que l’on peut haïr à titre personnel, et que les victimes ont
le droit de poursuivre pour obtenir réparations de toute nature. On ne doit pas
leur voler leur justice. Bien sûr les parties civiles n’imaginent pas que les
juges vont être indulgents ou vont faire du droit et ne pas condamner au maximum de la loi. Voire acquitter si les éléments constitutifs
du crime ou délit ne sont pas réunis. Tout avocat qui a un peu d’expérience et
de retenue sait que tout peut arriver. L’opinion publique n’intègre pas ces
données. La justice est pour elle la condamnation voire la vengeance. Mais dans
un état de droit il faut respecter les règles comme celle du droit pour n’importe
quel individu même le plus vil d’être assisté par un avocat, et de se défendre
en racontant n’importe quoi.
Dans notre
société du spectacle, de la transparence exigée pour les autres, des fake news
et de l’à peu près, de la bien-pensance et de ses excès, l’objectivité veut qu’en matière de justice personne ne se
mette à la place des juges. Les magistrats sont suffisamment décriés pour qu’on
ne les remplace pas par des caméras et des militants. Le tribunal de l’opinion
télévisée ne doit pas siéger tous les jours.
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