samedi 27 janvier 2018

RÉFORME JUDICIAIRE UN NOUVEAU TRIBUNAL EST NE À BFM.TV ?.

Réforme judiciaire :un nouveau tribunal est né à BFM.TV ?.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.

Beaucoup d’ avocats de France protestent car la réforme de la carte judiciaire concoctée par Mme Belloubet Garde des sceaux va entrainer la suppression de tribunaux ici et là sur le territoire. C’est un problème de société sérieux.  Des barreaux sont directement concernés, et la justice près du justiciable risque de disparaitre. Mais les médias veulent occuper la place et au nom de leur devoir d’information tout azimut ils jugent en direct. Ce ne sont plus des comptes rendus judiciaires comme avant, mais de véritables procès qui ont lieu en quelques minutes.
Je regarde régulièrement BFM TV notamment à 19 heures où la distribution est souvent la même : un thème de débats et quatre intervenants. Et Mme Ruth Elkrief comme présidente d’audience-dans tous les sens du terme , en toute impartialité cela va sans dire. Quand il s’agit d’une affaire judiciaire ou d’un problème de droit, on retrouve toujours les mêmes acteurs : un journaliste politique qui est compétent quel que soit le sujet  économique, social, culturel et naturellement judiciaire ; un sachant  expert pour  tout et rien ; un ancien magistrat  qui lui connait le sujet ; un avocat parfois ; et un généraliste ou un sondeur. Je n’ai jamais eu autant d’informations sur les sondages  en toutes matières qui sont désormais la vox populi qu’il faut suivre sinon on est marginalisé. Et on fait le procès en direct, on s’interroge sur la défense hasardeuse du mis en examen, des preuves de l’accusation que l’on connait par ouï dire ; de la réaction du public, et on critique ce qui ne va pas aux yeux  de ce tribunal des médias formé pour l’actualité du jour. Naturellement il y a parfois des intervenants qui expliquent à juste titre ce qui se passe et sont très compétents en faisant œuvre pédagogique. Mais il n’y a quasiment jamais l’avocat du prévenu ou de l’accusé qui pourrait faire connaitre la position de son client, sa personnalité, ce qu’il réfute, pourquoi il a agi ou non… On s’indigne, on se met à la place des victimes, on rappelle ce que pensent les français - personnellement on ne m’a jamais interrogé ?- et on décide à demi-mot voire clairement que la personne poursuivie est coupable. Je n’ai pas encore entendu, mais je dois être un peu sourd, que telle personne poursuivie devait être innocente. Car bien sûr on souligne que la présomption d’innocence est capitale et  que la vie privée  doit être respectée, mais on les piétine allègrement au nom de la liberté de l’information .Personne n’a lu le dossier puisque seuls les avocats et les magistrats chargés du procès y ont accès : nos experts ont eu des informations de façon indirecte par des confidences qui violent soit le secret professionnel soit celui de l’instruction soit le principe du contradictoire dans tout débat,  et qui sont diffusées dans l’intérêt de celui qui les communique, donc ne sont ni fiables ni objectives. Mais nos experts concluent  sans réserve généralement, de façon péremptoire, générale et définitive sans argument de droit ou autre, à quoi d’ailleurs cela servirait-il, sauf à perdre du temps !. Il faut que le public qui n’y connait rien , soit éclairé  par ceux qui savent, l’élite compétente erga omnes  qui ne doute pas , et qui suivent la plupart du temps l’indignation de l’opinion publique,  cette catin comme l’appelait  Me Moro-Giafferi qui  voulait la  voir être chassée du prétoire, car elle tire le juge par la main.
L’affaire de M.Jawad Bendaoud dit le logeur de Daesh pour avoir abrité trois terroristes qui ont attaqué le bataclan, est typique. L’opinion est indignée et hurle à la condamnation et ce n’est pas moi qui va dire le contraire.  Mais il y a des limites à ne pas franchir dans un état de droit car si on fait des exceptions pour M.Bendaoud, elles peuvent  se reproduire et être dangereuses sur le principe.
BFM TV devrait être plus en retrait   quand on se rappelle qu’elle a interrogé en direct M .Bendaoud au moment où les forces de l’ordre donnaient l’assaut à l’immeuble à Saint Denis où étaient logés les terroristes, et lui a donné la parole dont il a profité. Celui-ci a pu dire combien il était surpris d’avoir logé des terroristes et combien il était de bonne foi ! (sic) .La France entière a ri de cette déclaration bien que les faits soient dramatiques.  Puis l’enquête a commencé et on a appris la réalité de la personnalité de ce logeur qui se déclarait innocent.
Sur BFM TV vendredi 26 janvier à 19 h. il y a eu une émission  sur le cas Bendaoud  avec aux manettes Mme Elkrief qui a dirigé les débats, puis un journaliste politique M.Gattegno, un journaliste polémique M.VaL, une ancienne  magistrate qui a présidé la cour d’assises Mme Bernard-Requin , et mon excellent confrère Me Thibault de Montbrial partie civile (il y en des centaines ce qui explique l’émotion dans ce dossier qui n’est pas celui des terroristes) dans le procès contre M.Bendaoud et qui sortait de la vraie audience. Débat intéressant par ailleurs . Ce qui m’a chagriné c’est qu’aucun membre de la défense de M.Bendaoud n’ait été convié ou se soit déplacé ?  et que l’on organise un quasi débat sur la culpabilité alors que le procès est en cours.
Pourtant il y a un précédent récent qui a eu lieu en décembre dernier. Le procès devant la cour d’assises de Bobigny de M.Georges Tron ancien ministre et député  accusé je crois d’agressions sexuelles et viols, a été renvoyé à une date ultérieure à la demande de la défense et ce avec raison,  notamment parce qu’une émission de télévision a été diffusée pendant le procès, émission qui n’était pas à la gloire de l’accusé.
La justice ne doit pas être un spectacle  et on n’est pas dans les jeux du cirque. Le devoir d’information des médias ne doit pas se substituer au devoir d’impartialité et de réserve et ce quelque soit la personne poursuivie que l’on peut haïr à titre personnel, et que les victimes ont le droit de poursuivre pour obtenir réparations de toute nature. On ne doit pas leur voler leur justice. Bien sûr les parties civiles n’imaginent pas que les juges vont être indulgents ou vont faire du droit  et ne pas condamner au maximum de la loi.  Voire acquitter si les éléments constitutifs du crime ou délit ne sont pas réunis. Tout avocat qui a un peu d’expérience et de retenue sait que tout peut arriver. L’opinion publique n’intègre pas ces données. La justice est pour elle la condamnation voire la vengeance. Mais dans un état de droit il faut respecter les règles comme celle du droit pour n’importe quel individu même le plus vil d’être assisté par un avocat, et de se défendre en racontant n’importe quoi.  

Dans notre société du spectacle, de la transparence exigée pour les autres, des fake news et de l’à peu près, de la bien-pensance et de ses excès, l’objectivité  veut qu’en matière de justice personne ne se mette à la place des juges. Les magistrats sont suffisamment décriés pour qu’on ne les remplace pas  par des caméras et des militants. Le tribunal de l’opinion télévisée ne doit pas siéger tous les jours. 

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