vendredi 14 octobre 2016

LE DROIT EST-IL UN INSTRUMENT AU SERVICE DU POUVOIR?

Le droit est-il un instrument au service du pouvoir ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local
La campagne  électorale est bien lancée et l’imagination des candidats est sans limite  y compris pour ce qui est farfelu ou inapplicable car il faut se distinguer de ses concurrents ou de ses adversaires. Dans le domaine juridique, ou judiciaire ou institutionnel on rivalise de propositions  comme si le droit à lui seul  pouvait faire gagner l’élection ou servait à convaincre les électeurs au –delà de l’essentiel sur le plan du chômage à résorber pour retrouver un plein emploi ; la sécurité pour pallier toutes les menaces ; les valeurs républicaines qui ne sont pas entendues par certains qui préfèrent celles de leur communauté… Il va cependant de soi que la loi, le droit positif, et les institutions de la Constitution de la V ème république sont des éléments clés de notre avenir. Il faut donc en tenir compte  pour élire le futur chef de l’Etat car sa conception de la justice et des institutions révèle la vraie personnalité du candidat .Prenons quelques exemples limités au hasard.
Certains veulent  créer une VIème république-ce qui exigera un vote solennel des français à ce sujet- pour par exemple, supprimer la fonction de premier ministre, donner au parlement plus de pouvoirs ; faire disparaitre l’article 49-3 (celui utilisé pour faire adopter la loi El khomri) ;liquider le sénat et le conseil économique et social pour les remplacer par un « bidule », une institution composée de citoyens tirés au sort (comme pour la cour d’assises) qui jugeraient les lois  au jour le jour, vérifieraient qu’elles sont efficaces et prononceraient leur retrait en cas d’inutilité ? Cela me semble être un retour vers le futur et un quasi  copier-coller avec la IVème république. Comme nouveauté, non merci, les  institutions de la Vème république ayant fait leurs preuves. D’autres considèrent qu’il y a trop de députés –donc beaucoup de  ceux qui existent ne servent à rien ?-et qu’il faut en diminuer le nombre, bien que la loi qui va s’appliquer sur le non cumul des mandats aboutira à ce que le parlementaire  soit hors sol c’est – à –dire non rattaché à une collectivité territoriale : est-ce vraiment un  progrès alors qu’on accuse les élites de ne pas connaitre la réalité du terrain ? Un candidat propose de remettre à l’ordre du jour le référendum  sur des sujets qui intéressent  vivement  les français comme le regroupement familial ou les fichés S.(concernant les radicalisés de l’islam). Il considère que l’article 11 de la constitution s’applique. Celui-ci dispose que « le domaine du référendum porte sur l’organisation des pouvoirs publics et les réformes relatives à la politique économique sociale ou environnementale  de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à la ratification d’un traité »(international).Le référendum donne la parole aux citoyens qui répondent par oui ou non, ce qui est toujours réducteur , et pas forcément à la question posée  mais à celui qui interroge, et peut transformer  une difficulté à résoudre en quasi plébiscite. Mais c’est un exercice démocratique exemplaire. Les juristes constitutionnalistes estiment  déjà que ce référendum sur les questions prévues ( en y ajoutant le retour au cumul des mandats ?) n’est pas conforme à la lettre de l’article 11 , car le regroupement familial et la mise à l’écart de simples suspects touchent aux libertés et aux droits de l’homme qui ne sont pas du domaine du référendum.   Cela se discute naturellement comme pour beaucoup de questions juridiques mais ce ne sont pas des arguties de mon point de vue, et on ne peut faire n’importe quoi si l’on veut que l’état de droit qui est l’un des fondements de la république et de notre démocratie, perdure .Il ne peut y avoir une polémique entre les politiques,  les juristes patentés et nos plus hautes juridictions qui rendent des arrêts qui parfois ne nous plaisent pas voire nous indignent à titre personnel. Entre la légitimité du droit et celle de l’élection nous ne devrions pas avoir à choisir. Les politiques  se réfugient derrière l’onction du suffrage universel pour considérer qu’ils ont forcément raison puisqu’ils représentent le peuple .Mais ils doivent d’abord se conformer à l’état du droit existant  même s’il n’est pas interdit de le faire évoluer, de l’adapter aux menaces nouvelles et aux besoins des citoyens .La jurisprudence des tribunaux joue ce rôle  et personne ne s’offusque que des solutions en droit nouvelles , émergent. Et le parlement peut voter des lois qui apparaissent nécessaires.
 Cependant le droit ne peut être à géométrie variable selon le moment, la volonté politique ou l’actualité, et l’air du temps lié aux sondages .On a besoin de règles fixes, bien expliquées  et validées et surtout de sécurité juridique dans le temps. Le citoyen doit connaitre les règles du jeu et les chefs d’entreprise ou tout investisseur (y compris  un individu qui achète un logement pour le louer) doivent pouvoir compter sur une stabilité législative dans tous les domaines  et une sécurité en droit. Il  faut de la constance ce qui est le début de la sûreté c’est-à-dire la certitude qu’il n’y aura pas de fluctuations imprévues .Le droit doit répondre à des contraires qui sont conciliables : l’ordre public et les libertés individuelles ; la lutte contre la délinquance et le terrorisme et la garantie des droits de la défense ( comme  pour M .Salah Abdelslam celui de se taire et de mettre en porte à faux ses avocats  qui ont préféré laisser tomber sa défense, attitude qui scandalise les victimes et l’opinion) ; le combat contre l’assistanat et les diverses fraudes sociales, avec la solidarité envers ceux qui doivent être aidés ; l’équilibre entre les droits et les devoirs de chaque citoyen qui doivent aussi penser collectivement  et intérêt général ; les pouvoirs donnés à l’ETAT pour nous protéger et faire respecter nos valeurs avec  la garantie et le contrôle de la justice… Tout ceci est du droit  , donc des règles objectives et générales qui ne peuvent profiter uniquement à un puissant, fût-ce le  chef de l’Etat. Pour ma modeste part,- je suis avocat et je crois en la justice même si je ne suis pas naïf et sais qu’elle est parfois insuffisante ou considérée comme injuste, mais tous ceux qui y participent ont leur part de responsabilité- j’estime qu’il ne faut pas rabaisser les institutions judiciaires et ceux qui y siègent , même s’il est permis de s’interroger sur le rôle que doit tenir l’autorité judiciaire dans nos institutions ; réfléchir sur le statut des magistrats(certains veulent qu’ils soient élus comme aux USA ?) et envisager une responsabilité personnelle plus  large  tout en préservant leur indépendance ,en coupant aussi le lien des procureurs avec le pouvoir exécutif  comme la cour européenne  des droits de l’homme de Strasbourg le suggère, cour d’ailleurs dont on doit  accepter les décisions car nous sommes dans l’union européenne et le conseil de l’Europe , même si les  jugements de Strasbourg ne correspondent pas parfois à nos traditions et culture.   A l’ère de la  mondialisation , et de l’Europe certes à reconstruire  sur plusieurs sujets pour que chaque pays puisse choisir son destin, sans diktat extérieur, on ne peut se permettre d’avoir un droit interne franco-français uniquement et ignorer le raisonnement juridique des autres avec qui nous commerçons ou partageons les mêmes valeurs philosophiques. Comprendre les règles juridiques des autres  nous renforce d’ailleurs dans notre lutte contre les extrêmes et la barbarie.
Si le droit ne nous convient pas, il faut changer les parlementaires puisque ce sont eux qui font la loi. Les magistrats l’appliquent ou l’interprètent en cas de vide juridique. On les applaudit quand ils nous donnent raison ou  confortent notre champion politique, et on les maudit dans le cas contraire .Il va donc bien falloir qu’un jour, ce que je réclame dans mes modestes articles depuis des mois voire années, que nous réfléchissions vraiment sur la place du droit et de la justice dans nos institutions ; sur  le «  pouvoir » ou non qu’elle représente  en ayant peur d’un prétendu gouvernement des juges,  sur la nécessité d’un arbitre objectif  -dans une société au bord du burn -out et très nerveuse , ne tolérant plus rien-  des conflits qu’ils soient personnels, commerciaux, sociaux, administratifs ;  sur le droit ou non des juges d’être aussi des citoyens et d’avoir une conscience politique qui ne doit pas s’exprimer dans leurs analyses ( le mur des cons et le syndicat de la magistrature faisant parfois douter de la neutralité de certains) ; sur la fameuse indépendance des magistrats et   leur responsabilité  dans la société, notamment dans la chaine pénale avec  le renseignement d’abord, puis les forces de l’ordre ( ne faut –il pas revoir les conditions de la légitime défense quand on connait  les attaques-pour tuer du « flic »- contre policiers , gendarmes outre pompiers, médecins, services de secours ) ; sur la prison dont enfin on vient d’annoncer un plan de constructions ,  et la protection de ceux qui partagent l’enfermement et sont menacés dans leur métier chaque jour et nuit,  à savoir le personnel pénitentiaire ; sur la nécessité d’une défense forte avec les avocats dont on doit renforcer le secret professionnel et qui sont présents non pas pour embêter ou entraver les juges mais tout simplement pour exercer leur métier d’auxiliaires de justice, la vérité étant  relative, et les libertés individuelles comme les intérêts prives ne devant pas s’effacer automatiquement devant ceux qui prétendent représenter l’intérêt général , qui se partage .Et en donnant à la justice les moyens matériels et humains , donc un vrai budget, pour accomplir ses missions qui sont essentielles à la cohésion de la société car avant d’être une institution matérielle la justice est d’abord une vertu dont chacun d’entre nous a besoin et veut y croire.
Le droit ne peut donc être un instrument du pouvoir, qu’il soit celui de l’exécutif ou qu’il soit « délégué » à l’autorité judiciaire qui ne doit « rouler » pour personne ,et les candidats à l’élection présidentielle  qui n’abordent ce sujet qu’à l’occasion des diverses procédures qui concernent le concurrent en espérant lui nuire, devraient faire des propositions concrètes, si je peux me permettre ce conseil mineur. La justice intéresse aussi le citoyen justiciable potentiel. Je sais qu’il y a d’autres sujets prioritaires mais n’ajoutons pas un sujet de mécontentement à ceux qui fâchent déjà. Le déni de justice est grave.
Enfin je termine  par ce qui a fait  scandale. Les chefs d’Etat se suivent et ... se ressemblent sur un point commun : la détestation ou si le mot est trop fort, l’exaspération envers les juges. M.SARKOZY avait parlé en public, à une audience solennelle de rentrée je crois, ce qui est au moins franc, des juges comme des «  petits pois sans saveur ». Cette déclaration potagère  avait fait un tollé et je ne sais pas s’il y a un lien avec toutes les procédures engagées contre lui, avec des non-lieux finalement pour la plupart, mais quelques unes en cours ? M. Hollande a fait fort en parlant à propos de la justice et des juges de « lâcheté », de « planqués » et de «  faux vertueux » en s’adressant à des journalistes. Il aurait mieux fait de tourner sa langue 7 fois dans sa bouche car ce qui se dit en off, ou non ,est toujours répété par la presse dont le métier est d’informer ou de créer le buzz. Est-ce son inconscient qui a parlé, et sa vérité profonde alors qu’il se targue ne n’avoir jamais interféré avec la justice dont il respecte l’indépendance et que Mme TAUBIRA notamment ne suivait pas les procédures dites  sensibles (celles des adversaires politiques s’entend) et ne donnait aucune instructions individuelles, ce qui est d’ailleurs de droit ?Le président et le procureur général de la cour de cassation ont immédiatement protesté et demandé un rendez vous au chef de l’Etat  qui les a rassurés verbalement. Manifestement ils n’ont pas été convaincus car à peine étaient ils  sortis de l’Elysée que  des communiqués des magistrats-toutes obédiences confondues -ont fait part de leur sidération et humiliation. M. Hollande  garant constitutionnel de l’indépendance des magistrats s’est excusé, car il aurait été mal compris. (sic).
Si l’on n’a pas confiance dans les magistrats qui ne sont pas là pour rendre des services, mais des arrêts comme l’écrivait il y a très longtemps le chancelier Séguier, l’état de droit est en péril. La justice est une de ses composantes structurelles qui doit résister à tout : à la tentation de combattre la délinquance et surtout le terrorisme  en tordant les principes pour satisfaire l’opinion publique (cette « trainée » qui doit sortir des prétoires selon le célèbre avocat Me Moro-Giafferi) ; et à celle de considérer que la loi, le droit ne sont qu’un moyen ou une  variable d’ajustement de l’exercice du pouvoir. Il ne s’agit pas pour autant de faire en sorte que la justice soit l’alpha et omega de notre société. Mais si on la néglige ou on la méprise, attention danger.


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