Le droit est-il un instrument au
service du pouvoir ?
Par Christian FREMAUX avocat
honoraire et élu local
La
campagne électorale est bien lancée et
l’imagination des candidats est sans limite
y compris pour ce qui est farfelu ou inapplicable car il faut se
distinguer de ses concurrents ou de ses adversaires. Dans le domaine juridique,
ou judiciaire ou institutionnel on rivalise de propositions comme si le droit à lui seul pouvait faire gagner l’élection ou servait à
convaincre les électeurs au –delà de l’essentiel sur le plan du chômage à
résorber pour retrouver un plein emploi ; la sécurité pour pallier toutes
les menaces ; les valeurs républicaines qui ne sont pas entendues par
certains qui préfèrent celles de leur communauté… Il va cependant de soi que la
loi, le droit positif, et les institutions de la Constitution de la V ème
république sont des éléments clés de notre avenir. Il faut donc en tenir
compte pour élire le futur chef de l’Etat
car sa conception de la justice et des institutions révèle la vraie
personnalité du candidat .Prenons quelques exemples limités au hasard.
Certains
veulent créer une VIème république-ce
qui exigera un vote solennel des français à ce sujet- pour par exemple,
supprimer la fonction de premier ministre, donner au parlement plus de
pouvoirs ; faire disparaitre l’article 49-3 (celui utilisé pour faire
adopter la loi El khomri) ;liquider le sénat et le conseil économique et
social pour les remplacer par un « bidule », une institution composée
de citoyens tirés au sort (comme pour la cour d’assises) qui jugeraient les
lois au jour le jour, vérifieraient
qu’elles sont efficaces et prononceraient leur retrait en cas
d’inutilité ? Cela me semble être un retour vers le futur et un quasi copier-coller avec la IVème république. Comme
nouveauté, non merci, les institutions
de la Vème république ayant fait leurs preuves. D’autres considèrent qu’il y a
trop de députés –donc beaucoup de ceux
qui existent ne servent à rien ?-et qu’il faut en diminuer le nombre, bien
que la loi qui va s’appliquer sur le non cumul des mandats aboutira à ce que le
parlementaire soit hors sol c’est – à
–dire non rattaché à une collectivité territoriale : est-ce vraiment
un progrès alors qu’on accuse les élites
de ne pas connaitre la réalité du terrain ? Un candidat propose de
remettre à l’ordre du jour le référendum
sur des sujets qui intéressent
vivement les français comme le
regroupement familial ou les fichés S.(concernant les radicalisés de l’islam).
Il considère que l’article 11 de la constitution s’applique. Celui-ci
dispose que « le domaine du référendum porte sur l’organisation des
pouvoirs publics et les réformes relatives à la politique économique sociale ou
environnementale de la nation et aux
services publics qui y concourent, ou tendant à la ratification d’un
traité »(international).Le référendum donne la parole aux citoyens qui
répondent par oui ou non, ce qui est toujours réducteur , et pas forcément à la
question posée mais à celui qui interroge,
et peut transformer une difficulté à
résoudre en quasi plébiscite. Mais c’est un exercice démocratique exemplaire.
Les juristes constitutionnalistes estiment
déjà que ce référendum sur les questions prévues ( en y ajoutant le
retour au cumul des mandats ?) n’est pas conforme à la lettre de l’article
11 , car le regroupement familial et la mise à l’écart de simples suspects
touchent aux libertés et aux droits de l’homme qui ne sont pas du domaine du
référendum. Cela se discute
naturellement comme pour beaucoup de questions juridiques mais ce ne sont pas
des arguties de mon point de vue, et on ne peut faire n’importe quoi si l’on
veut que l’état de droit qui est l’un des fondements de la république et de
notre démocratie, perdure .Il ne peut y avoir une polémique entre les
politiques, les juristes patentés et nos
plus hautes juridictions qui rendent des arrêts qui parfois ne nous plaisent
pas voire nous indignent à titre personnel. Entre la légitimité du droit et
celle de l’élection nous ne devrions pas avoir à choisir. Les politiques se réfugient derrière l’onction du suffrage
universel pour considérer qu’ils ont forcément raison puisqu’ils représentent
le peuple .Mais ils doivent d’abord se conformer à l’état du droit
existant même s’il n’est pas interdit de
le faire évoluer, de l’adapter aux menaces nouvelles et aux besoins des
citoyens .La jurisprudence des tribunaux joue ce rôle et personne ne s’offusque que des solutions
en droit nouvelles , émergent. Et le parlement peut voter des lois qui
apparaissent nécessaires.
Cependant le droit ne peut être à géométrie
variable selon le moment, la volonté politique ou l’actualité, et l’air du
temps lié aux sondages .On a besoin de règles fixes, bien expliquées et validées et surtout de sécurité juridique
dans le temps. Le citoyen doit connaitre les règles du jeu et les chefs
d’entreprise ou tout investisseur (y compris
un individu qui achète un logement pour le louer) doivent pouvoir
compter sur une stabilité législative dans tous les domaines et une sécurité en droit. Il faut de la constance ce qui est le début de
la sûreté c’est-à-dire la certitude qu’il n’y aura pas de fluctuations
imprévues .Le droit doit répondre à des contraires qui sont conciliables :
l’ordre public et les libertés individuelles ; la lutte contre la
délinquance et le terrorisme et la garantie des droits de la défense (
comme pour M .Salah Abdelslam celui de
se taire et de mettre en porte à faux ses avocats qui ont préféré laisser tomber sa défense,
attitude qui scandalise les victimes et l’opinion) ; le combat contre
l’assistanat et les diverses fraudes sociales, avec la solidarité envers ceux
qui doivent être aidés ; l’équilibre entre les droits et les devoirs de
chaque citoyen qui doivent aussi penser collectivement et intérêt
général ; les pouvoirs donnés à l’ETAT pour nous protéger et faire
respecter nos valeurs avec la garantie
et le contrôle de la justice… Tout ceci est du droit , donc des règles objectives et générales qui
ne peuvent profiter uniquement à un puissant, fût-ce le chef de l’Etat. Pour ma modeste part,- je suis
avocat et je crois en la justice même si je ne suis pas naïf et sais qu’elle
est parfois insuffisante ou considérée comme injuste, mais tous ceux qui y
participent ont leur part de responsabilité- j’estime qu’il ne faut pas
rabaisser les institutions judiciaires et ceux qui y siègent , même s’il est
permis de s’interroger sur le rôle que doit tenir l’autorité judiciaire dans
nos institutions ; réfléchir sur le statut des magistrats(certains veulent
qu’ils soient élus comme aux USA ?) et envisager une responsabilité
personnelle plus large tout en
préservant leur indépendance ,en coupant aussi le lien des procureurs avec le
pouvoir exécutif comme la cour européenne
des droits de l’homme de Strasbourg le suggère, cour d’ailleurs dont on doit accepter les décisions car nous sommes dans
l’union européenne et le conseil de l’Europe , même si les jugements de Strasbourg ne correspondent pas
parfois à nos traditions et culture. A
l’ère de la mondialisation , et de l’Europe
certes à reconstruire sur plusieurs
sujets pour que chaque pays puisse choisir son destin, sans diktat extérieur,
on ne peut se permettre d’avoir un droit interne franco-français uniquement et
ignorer le raisonnement juridique des autres avec qui nous commerçons ou partageons
les mêmes valeurs philosophiques. Comprendre les règles juridiques des autres nous renforce d’ailleurs dans notre lutte
contre les extrêmes et la barbarie.
Si le droit
ne nous convient pas, il faut changer les parlementaires puisque ce sont eux
qui font la loi. Les magistrats l’appliquent ou l’interprètent en cas de vide
juridique. On les applaudit quand ils nous donnent raison ou confortent notre champion politique, et on
les maudit dans le cas contraire .Il va donc bien falloir qu’un jour, ce que je
réclame dans mes modestes articles depuis des mois voire années, que nous
réfléchissions vraiment sur la place du droit et de la justice dans nos
institutions ; sur le «
pouvoir » ou non qu’elle représente en ayant peur d’un prétendu
gouvernement des juges, sur la nécessité
d’un arbitre objectif -dans une société
au bord du burn -out et très nerveuse , ne tolérant plus rien- des conflits qu’ils soient personnels,
commerciaux, sociaux, administratifs ; sur le droit ou non des juges d’être aussi des
citoyens et d’avoir une conscience politique qui ne doit pas s’exprimer dans
leurs analyses ( le mur des cons et le syndicat de la magistrature faisant
parfois douter de la neutralité de certains) ; sur la fameuse indépendance
des magistrats et leur responsabilité dans la société, notamment dans la chaine
pénale avec le renseignement d’abord,
puis les forces de l’ordre ( ne faut –il pas revoir les conditions de la
légitime défense quand on connait les
attaques-pour tuer du « flic »- contre policiers , gendarmes outre
pompiers, médecins, services de secours ) ; sur la prison dont enfin on
vient d’annoncer un plan de constructions , et la protection de ceux qui partagent
l’enfermement et sont menacés dans leur métier chaque jour et nuit, à savoir le personnel pénitentiaire ; sur
la nécessité d’une défense forte avec les avocats dont on doit renforcer le
secret professionnel et qui sont présents non pas pour embêter ou entraver les
juges mais tout simplement pour exercer leur métier d’auxiliaires de justice,
la vérité étant relative, et les
libertés individuelles comme les intérêts prives ne devant pas s’effacer
automatiquement devant ceux qui prétendent représenter l’intérêt général , qui
se partage .Et en donnant à la justice les moyens matériels et humains , donc
un vrai budget, pour accomplir ses missions qui sont essentielles à la cohésion
de la société car avant d’être une institution matérielle la justice est
d’abord une vertu dont chacun d’entre nous a besoin et veut y croire.
Le droit ne
peut donc être un instrument du pouvoir, qu’il soit celui de l’exécutif ou
qu’il soit « délégué » à l’autorité judiciaire qui ne doit
« rouler » pour personne ,et les candidats à l’élection
présidentielle qui n’abordent ce sujet
qu’à l’occasion des diverses procédures qui concernent le concurrent en
espérant lui nuire, devraient faire des propositions concrètes, si je peux me
permettre ce conseil mineur. La justice intéresse aussi le citoyen justiciable
potentiel. Je sais qu’il y a d’autres sujets prioritaires mais n’ajoutons pas
un sujet de mécontentement à ceux qui fâchent déjà. Le déni de justice est
grave.
Enfin je
termine par ce qui a fait scandale. Les chefs d’Etat se suivent et ...
se ressemblent sur un point commun : la détestation ou si le mot est trop
fort, l’exaspération envers les juges. M.SARKOZY avait parlé en public, à une
audience solennelle de rentrée je crois, ce qui est au moins franc, des juges
comme des « petits pois sans saveur ». Cette déclaration
potagère avait fait un tollé et je ne
sais pas s’il y a un lien avec toutes les procédures engagées contre lui, avec
des non-lieux finalement pour la plupart, mais quelques unes en cours ? M.
Hollande a fait fort en parlant à propos de la justice et des juges de
« lâcheté », de « planqués » et de « faux
vertueux » en s’adressant à des journalistes. Il aurait mieux fait de
tourner sa langue 7 fois dans sa bouche car ce qui se dit en off, ou non ,est
toujours répété par la presse dont le métier est d’informer ou de créer le buzz.
Est-ce son inconscient qui a parlé, et sa vérité profonde alors qu’il se targue
ne n’avoir jamais interféré avec la justice dont il respecte l’indépendance et
que Mme TAUBIRA notamment ne suivait pas les procédures dites sensibles (celles des adversaires politiques
s’entend) et ne donnait aucune instructions individuelles, ce qui est
d’ailleurs de droit ?Le président et le procureur général de la cour de
cassation ont immédiatement protesté et demandé un rendez vous au chef de
l’Etat qui les a rassurés verbalement.
Manifestement ils n’ont pas été convaincus car à peine étaient ils sortis de l’Elysée que des communiqués des magistrats-toutes
obédiences confondues -ont fait part de leur sidération et humiliation. M. Hollande garant constitutionnel de l’indépendance des
magistrats s’est excusé, car il aurait été mal compris. (sic).
Si l’on n’a
pas confiance dans les magistrats qui ne sont pas là pour rendre des services,
mais des arrêts comme l’écrivait il y a très longtemps le chancelier Séguier,
l’état de droit est en péril. La justice est une de ses composantes
structurelles qui doit résister à tout : à la tentation de combattre la
délinquance et surtout le terrorisme en
tordant les principes pour satisfaire l’opinion publique (cette « trainée »
qui doit sortir des prétoires selon le célèbre avocat Me Moro-Giafferi) ;
et à celle de considérer que la loi, le droit ne sont qu’un moyen ou une variable d’ajustement de l’exercice du
pouvoir. Il ne s’agit pas pour autant de faire en sorte que la justice soit
l’alpha et omega de notre société. Mais si on la néglige ou on la méprise,
attention danger.
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