mercredi 10 septembre 2025

Le juge et son jardin secret

 

                                           Le juge et son jardin secret

                Par Christian Fremaux avocat honoraire

Dans un état de droit qui est encore le notre malgré l’instabilité politique et les soubresauts violents de la société et des contestations contradictoires permanentes, la Justice est au centre des institutions et tout ce qui l’affaiblit doit être combattu. Notre Constitution n’évoque qu’une autorité judiciaire. Le général De Gaulle voulait faire savoir qu’il n’y avait que deux pouvoirs : le législatif et surtout l’exécutif avec l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel. M. Macron flotte mais ne coule pas, pour l’instant. Et ne se passionne pas pour la Justice qui est un monument régalien en péril.

La société a beaucoup évolué. Les français n’ont plus confiance dans la classe politique qui offre un spectacle lamentable avec des arrangements divers et se défient de la Justice avec ses délais très longs, ses moyens matériels défaillants, son langage abscons, et des magistrats que l’on accuse d’être partiaux. Notamment en matière pénale. Une grosse minorité agissante comme les membres du syndicat de la magistrature qui penche à gauche, veut changer la société sans aucun mandat des citoyens et a choisi de s’intéresser plutôt aux délinquants qu’aux victimes et pas à la nation qui a le droit de se défendre. Les justiciables ne supportent pas de subir des juges qui font connaitre leurs croyances et états d’âme et qui par leurs jurisprudences veulent éduquer le peuple selon leurs principes. Ou redresser les injustices sociales.

Et ils s’indignent contre les magistrats qui commettent exceptionnellement des manquements parfois graves de procédure qui entraînent des conséquences dramatiques. Sans sanction véritable pour eux. L’erreur est humaine et les juges croient bien faire en toutes circonstances. La loi complexe peut être un couperet.   

Ou en considérant des juges comme étant laxistes pour les affaires de sang qui défraient la chronique et sont en lien avec l’insécurité et la violence exponentielles. A ces sujets je ne partage pas l’analyse de mon excellent confrère Dupond-Moretti et je ne crois pas que certains médias soient irresponsables en parlant de faits qui entrainent la peur des Français. Ils ne sont pas comptables des agissements de meurtriers endoctrinés ou non.  La plupart se disant déséquilibrés ou possédés, ce qui est une excuse fumeuse. L’homme est responsable de ses actes, sauf exception très rare.

Je n’aborde pas le contentieux civil qui concerne la plus grande partie des justiciables où l’on met rarement en cause les mêmes magistrats. En y ajoutant bientôt l’intelligence artificielle et la justice prédictive.  Je ne sais pas si l’introduction de la machine et des algorithmes sera un progrès ? Le progressisme n’apporte pas que des bienfaits. 

 Heureusement la grande majorité des juges remplit ses fonctions avec dévouement et conscience en appliquant la loi bonne ou mauvaise que les parlementaires votent. Et qu’ils n’assument pas ou rejettent si elle ne vient pas de leur camp. L’électoralisme est la priorité. Notre législation est instrumentalisée. On peut mourir de nos libertés infinies.   

M. Gérald Darmanin Garde des Sceaux le 5 septembre 2025 a fait modifier à juste titre dans le sens de la laïcité le règlement interne de l’école de la magistrature, celle qui forme les juges qui vont officier dans les décennies qui viennent. Toute une nouvelle génération qui constate tous les jours les problèmes à résoudre. Il n’y aura pas de voile possible pour une magistrate ni d’abaya pour un magistrat ni d’ailleurs de signes ostensibles de religion pour tous ou d’appartenance à telle ou telle obédience. Ou courant de pensées. La filière prépa-talent qui permet à des étudiants défavorisés ou de quartiers dits sensibles d’être admis dans les grandes écoles ne doit pas conduire à des débordements ou de l’entrisme cultuel sinon culturel particulier. La France est laïque qu’on le veuille ou non. La sphère privée doit rester à l’entrée des tribunaux. 

C’est évident sinon le justiciable va se renseigner sur les opinions de son futur juge, pourra le choisir ou le récuser et les jugements et arrêts ne seront plus rendus au nom du peuple français tout entier. Outre l’impartialité qui est demandée aux juges au -delà de leurs convictions personnelles, il y a la nécessité de la neutralité absolue du service public. Et de sa dignité attachée à l’autorité.  Aucun affichage qui heurte. Seule la robe noire est autorisée.

Je ne suis pas certain que la décision de M. Darmanin soit définitive. Je ne serai pas étonné que des futurs magistrats contestent l’interdiction et qu’une juridiction annule l’arrêté du ministre courageux. Par exemple au nom de la liberté de croire, d’une discrimination, de l’atteinte à la vie privée ou autre grand principe des droits de l’homme /de la femme ou de la jurisprudence européenne qu’on ne maitrise pas. 

Tout le monde est d’accord pour dire que la Justice est indépendante et doit le rester. On a besoin d’arbitres insoupçonnables qui participent à l’union de la société et qui la rassurent. Depuis de très nombreuses années on débat d’une réforme. Mais on ne dit pas comment on fait en pratique et selon quelle légitimité pour rendre des comptes et à qui, puisque la Justice n’est pas un pouvoir. Les politiques dans le viseur des juges n’osent pas trancher. De même pour le statut des procureurs qui sont sous la hiérarchie du ministre de la Justice. Ce qui fait douter même si les instructions individuelles n’existent plus.    

Les hauts magistrats intègres et compétents aux commandes ne sont pas responsables de l’élaboration de la loi et de l’impéritie des politiques incapables de décider. Il appartient aux promotions de jeunes magistrats qui vivent dans la société actuelle avec des problèmes existentiels nouveaux ou qui ne s’imposaient pas avec une telle intensité il y a quelques années, de bâtir une Justice moderne adaptée aux besoins des Français, sans déni, sans idéologie et dans l’intérêt général.   

Voltaire écrit dans Candide : «il faut cultiver son jardin ». Que les magistrats fassent pousser des jugements mais ne montrent pas leurs jardins secrets et qu’ils réussissent à apaiser la société. Leur devoir est de prendre de la hauteur. Sans soumission. Que leurs tenues ne soient ni voilées ni ornées de fioritures. Sauf les décorations qu’ils mériteront.      

 

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