vendredi 4 octobre 2024

A-t-on le droit de faire bouger les lignes ?

 

                    A-t-on le droit de faire bouger les lignes ?

              Par Christian Fremaux avocat honoraire

 

  L’état de droit est à l’ordre du jour. Intox. ou réalité ? 

« Asseyez -vous sur les principes ils finiront toujours par céder » a écrit Edouard Herriot. C’est la crainte sincère que professent des bonnes âmes dites élites, des humanistes et des juristes éminents défenseurs des grands principes et du droit quand on envisage de faire évoluer les règles concernant la sécurité publique et celles de la justice. Tout responsable sait qu’on ne touche aux lois que d’une main tremblante. Et aucun politique fût -il réactionnaire donc jouant sa carrière ou progressiste dont l’erreur est forcément de bonne foi et sans conséquences immédiates, ne se risquerait à dire n’importe quoi ou à faire peur. Dis- moi d’où tu viens et tu auras raison ou tort.

 

Tous les jours il y a un drame encore plus horrible que le précédent. On veut des solutions mais dès qu’il s’agit de prendre des mesures c’est le tollé. S’il faut muscler notre législation on crie à l’arbitraire, aux libertés bafouées, à la mise en péril du pays surtout de certaines de ses composantes. On en appelle au droit naturel, aux droits de l’Homme de 1789, à la Constitution et ses valeurs immuables gravées dans le marbre. Au droit européen sinon international. Enfin à la préservation de l’humanité et à la fraternité avec l’émotion pour boussole. L’individu est devenu roi. Fût-il un ennemi.

 Personne n’est contre ces objections. Qui veut revenir à l’arbitraire, aux lettres de cachet, à l’absence de droits, à aucune garantie de et contre l’Etat, à la limitation des libertés individuelles comme collectives ? Réveilles- toi George Orwell ils sont devenus fous ! Nous sommes dans une démocratie et une République conquise de haute lutte et attaquée : seuls des excités idéologisés veulent sa perte, qu’on change de régime et de société. Et que l’on coupe des têtes. Pour aboutir à une coexistence qui sera apaisée. Il faut y croire ! Comme si le bien se décrétait.    

Ce qui n’empêche pas que l’on a le devoir de rectifier ce qui est insuffisant, de se donner des armes légales pour lutter contre ce qui nous fait mal, pour prévenir les souffrances. L’immobilisme ne peut mener qu’au désastre. Se lamenter n’apporte rien.  On coule mais la tête haute.

Il ne faut pas confondre l’état de droit avec un petit é qui est un cadre institutionnel avec des principes et des valeurs avec l’Etat prenant un E majuscule, donc la puissance publique qui est soumise aux règles légales. L’état de droit c’est la hiérarchie des normes, l’accès à la justice et l’égalité des citoyens devant la loi et la séparation des pouvoirs. En France en ajoutant des élections libres et des institutions représentatives. Le ministre de l’Intérieur joue un rôle essentiel et délicat. Il ne décide pas seul.

M. Retailleau ministre de l’Intérieur LR macron-compatible a mis le feu aux poudres par une formule maladroite et inexacte. L’ancien sénateur a dit que l’état de droit n’était « ni intangible ni sacré ». Il devait viser la délinquance et l’immigration incontrôlée ?

 Le procureur général de la Cour de cassation magistrat indépendant mais subordonné en même temps au ministre de la Justice a remis avec raison les pendules à l’heure. La présidente de l’Assemblée nationale s’est dite inquiète car « l’état de droit protège et garantit que personne, fût -ce un ministre, ne puisse faire ce qu’il veut ». Le premier ministre a apporté sa pierre à l’édifice dans sa déclaration de politique générale en disant qu’on conforterait les libertés publiques dont l’i.v.g. désormais constitutionnalisée et qu’on ne toucherait pas à une liberté fondamentale.

 M. Retailleau a avalé son chapeau tout neuf et a rétropédalé en disant qu’on avait instrumentalisé ses propos et que bien sûr l’état de droit était la norme. Et avait un socle en béton. Il doit n’en penser pas moins mais comme tout politique il recule mais ne rompt pas. Il a ajouté prudemment qu’on devrait réfléchir à l’évolution de notre législation notamment pénale. Car les français doivent être plus protégés. On est tous d’accord.

L’état de droit ne peut s’opposer à la souveraineté populaire. Toute règle peut être revue au bénéfice de la collectivité. Tout en maintenant les grands principes.  

M. Heitz procureur général a précisé que la puissance publique devait respecter le droit et les libertés. C’est le fondement de la nation. Cela est indiscutable d’autant plus qu’en France c’est le parlement qui vote les lois et l’autorité judiciaire autonome qui contrôle et sanctionne s’il le faut. Les droits de la défense sont la base de notre système pénal. M. Retailleau doit en convenir. Je n’en doute pas. Le supposé coupable reste innocent jusque son jugement. Même si sa personne est détestable, ignoble dans ses actes et en dehors de l’espèce humaine telle qu’on la souhaite. L’état de droit pourrait commencer à bouger si l’autorité judiciaire qui veut devenir pouvoir toujours au nom du peuple français acceptait la responsabilité professionnelle des juges. Et le sens des votes républicains. Ce qui lui donnerait de l’autorité validée par les justiciables. Et si on revoyait enfin le lien qui unit le parquet à son ministre ?

L’Etat - c’est nous les citoyens -dispose de la force légitime mais n’a aucun droit particulier. Il n’est pas omniscient ou infaillible. Il se soumet aux lois et aux tribunaux administratifs notamment, comme tout le monde. Il organise notre vie sociale, nous protège par ses fonctions régaliennes que nous lui avons déléguées. Il redistribue les richesses, combat les inégalités et discriminations.  Le tout dans l’intérêt général.

En restant dans le cadre de l’état de droit et en consolidant nos libertés et nos institutions, il est possible de progresser et d’améliorer nos moyens de défense. Que nos élus adaptent notre législation aux nouvelles donnes et menaces, aux comportements qui changent notamment chez les mineurs, aux technologies qui posent problèmes, aux dangers venant de  l’extérieur et en modifiant ce que nous avions décidé jadis dans un contexte peut être moins funeste. Les décrets et les circulaires sont possibles pour appliquer ce qui existe. Ou pourrait être renforcé. Si on ne tente jamais rien on mourra de nos principes. Il faut un peu de courage. Et pas de fausses pudeurs.         

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