Revenons aux
fondamentaux de la justice
Par Christian Fremaux avocat honoraire
En ce moment
je suis un peu désespéré par la justice sous toutes ses formes. Je m’inquiète
car je sens une dérive dangereuse. J’ai entendu des personnalités politiques
dire qu’un non- lieu ou une relaxe ne changeaient rien aux faits qui étaient
reprochés et que ce n’était pas la preuve d’une innocence ! Mao Tse Toung
ou Trotski sortez de ces esprits. Je cite en vrac quelques interrogations.
L’émotion est la base de tout. Les faits
deviennent secondaires. L’honneur des uns et des autres est bouleversé sur une
simple affirmation. Tout le monde s’en mêle et l’indignation vaut réalité. Attention
ce qui arrive à des personnalités peut un jour concerner le quidam puisqu’on
ne veut plus de prescription. On pourrait accuser à vie. Naturellement les
coupables avérés doivent payer. Les victimes ont droit à réparation ou d’avoir l’esprit
libre. Avec des souvenirs qui se révèlent tardivement. Elles n’y sont pour rien.
Mais ne cherchons pas des coupables quoiqu’il arrive avec des
raisonnements contemporains. La justice n’est ni la vengeance ni la
condamnation d’une faute globale ou par inaction. Ni la volonté de créer une
société pure et sans tâche. Sinon on ne cessera de sortir du placard les
cadavres coupables ou non de l’histoire et on installera la désunion. Ou la
repentance perpétuelle.
Quand le parlementaire
enquête et enlève son écharpe pour revêtir le costume du juge on est dans la
confusion. Si ce n’est dans l’arbitraire puisqu’on veut une Justice
indépendante de toute pression. Qu’il s’occupe de contrôler nos finances et de
bâtir un budget en équilibre ; qu’il vérifie le fonctionnement des institutions
; qu’il fasse tout pour participer à des débats dignes qui renforcent la
nation... Mais qu’il laisse de côté son aspect justicier surtout quand le présumé
suspect est un adversaire politique. Et je n’évoque même pas les qualités
nécessaires juridiques et judiciaires, le sens du débat contradictoire, des
droits de la défense, de la présomption d’innocence et sans juridiction
d’appel. Outre la neutralité et
l’impartialité c’est à dire les qualités que l’on exige des magistrats professionnels.
Diffamez, insinuez, il en restera toujours quelque chose. On n’est pas
dans une instruction judiciaire à charge et à décharge d’où rien ne doit
filtrer sous peine de délit ! L’élection ne confère ni compétences
ni hauteur. S’il y a eu jadis des manquements collectifs ou des insuffisances
voire des « protections » pour ne pas faire savoir, qui sera
condamné ?
J’ai écouté
M. Bayrou1er ministre mais surtout parent d’élève donc intimement concerné pour
le scandale de Betharram interrogé par M. Vannier de LFI plus proche de
Fouquier-Tinville que d’un simple procureur membre du syndicat de la magistrature.
M. Vannier a décrété que M. Bayrou avait
menti sous serment quelles que soient ses explications et preuves. Il ne
cherchait pas la vérité des faits. Il a instruit à charge politique
exclusivement. La commission d’enquête
n’en sort pas grandie. Il va falloir revoir ses compétences et sa procédure.
C’est le président
Mitterrand qui avait parlé de la force injuste de la loi. Le juge doit
naturellement appliquer la légalité, quand il ne l’interprète pas.Il doit
mesurer les effets pratiques de sa décision sur les citoyens, sur la démocratie
ou sur une future élection. Il ne peut se substituer au peuple. Ou vouloir
privilégier telle ou telle victime même si on est d’accord avec lui que le
délit ou le crime est odieux. Sinon l’unité de la nation est ébranlée. Le doute
s’installe.
On n’ose pas
critiquer les juges sauf à être taxé de populiste voire d’extrême. Mais ils
n’ont pas toujours raison. Au procès Depardieu ils ont condamné plus sévèrement
sous le curieux concept de victimisation secondaire à l’audience parce que
l’avocat du prévenu que je ne défends pas particulièrement, aurait eu un
comportement outrancier et méprisant pour les parties civiles. Mais on peut tout
dire à condition d’avoir du talent. Y compris contester des accusations. Outre
que le président du tribunal a la police de l’audience et peut demander à un avocat
de se modérer, sous l’autorité du bâtonnier. L’avocat peut et doit être libre
de choisir sa stratégie et son expression de défense qu’il pense utiles à son
client. Quitte à être contre -productif.
Après 1981 j’ai
eu modestement l’occasion de plaider notamment avec ou contre Mes Jacques Vergès
ou Thierry Levy pénalistes ténors qui s’attaquaient aux puissants et à l’Etat
et prononçaient des plaidoiries de rupture. Féroces et parfois très blessantes pour
leurs adversaires, avocats compris. Personne ne les a condamnés pour leurs propos
parfois insupportables. Leurs victimes ont encaissé. A l’époque le combat
judiciaire n’était pas uniquement émotionnel.
Les parties
civiles ne subissent pas une deuxième victimisation à l’audience car un tribunal
juge des faits qui doivent être prouvés, les personnalités et en droit. S’il
faut demander pardon et aller à Canossa en ménageant les parties civiles ou les
opposants en croyant aveuglement à leurs paroles, la défense ne sera plus ce
qu’elle devrait être. Elle doit être ferme et incisive et sans haine. Et subtile
envers le malheur réel ou exagéré ou non démontré des plaignants. Les avocats
des parties civiles peuvent redresser la barre au lieu de se plaindre de la
méchanceté du confrère et remettre en place l’insolent ou l’insultant. On juge
le prévenu pas son conseil. Le tribunal n’est pas l’arbitre des élégances et du
bon goût ou de la compassion. La défense ne peut être censurée sinon c’est
l’Etat de droit qui vacille. La vérité n’est pas univoque.
Dans les
affaires sensibles l’avocat est souvent seul contre tous, contre la société,
contre la doxa. Faisons en sorte que la défense puisse toujours être présente
et s’exprimer. Tout le reste est polémiques stériles.
Revenons aux
fondamentaux. Aux parlementaires la loi et la politique. A la justice neutre et
impartiale l’examen de la culpabilité ou de l’innocence. Et le devoir de
trancher les litiges qui lui sont soumis. Pas de bâtir une société idéale
socialement ou par les mœurs qui d’ailleurs évoluent. Ou politiquement. Aux avocats la lourde responsabilité de
défendre tous ceux qui font appel à eux. Et de choisir leurs arguments.
C’est ainsi que la confiance reviendra.