VICE VERSA
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
L’affrontement
qui a lieu en ce moment entre la légitimité du peuple et celle du parlement me
parait dangereux. Je n’évoque pas le fond de la grosse colère sur les soixante-quatre
ans dans des années dont chacun est libre de penser ce qu’il veut. Je
m’inquiète de l’agitation et de la haine qui règnent. On n’est plus entre adversaires
sur le plan des idées et des meilleures façons de gouverner dans l’intérêt collectif.
Mais entre ennemis. On a l’impression désastreuse que l’on veut la mort
symbolique de l’autre au nom de la certitude que le peuple peut tout. On entend
des énormités. Le président n’aurait plus qu’à démissionner car à 9 voix près
il a été désavoué. En oubliant que la IIIème république est née par une seule
voix d’avance en 1875 et a duré ! Ou comme louis XVI prendre le chemin de
Varennes. Les députés qui n’ont pas voté
la censure sont dénoncés, bientôt caillassés ? et pourquoi pas poursuivis
pour haute trahison.
Il ne faut pas tomber dans cette ornière. On a
franchi un cap. On n’est plus dans un projet de réforme controversé à tort ou
raison. Tout se confond. Chaque camp est
arc-bouté sur ses positions estimant détenir la vérité et voulant faire plier
l’autre. La rue affirme que le peuple s’est prononcé mais personne n’a le
monopole du peuple qui est divers et n’est pas sur une ligne unique. Comme les politiques qui dans le même camp se
divisent. Les sondages et les avis de minoritaires qui n’ont pas de
responsabilités pénales ou électives dans les politiques publiques ne font pas
une réalité. La violence y compris
verbale n’est pas tolérable quel qu’en soit le motif et ce n’est pas par le
coup de poing qu’une démocratie doit fonctionner. La loi n’existe plus. On n’obéit plus à rien
au nom de la bonne foi affirmée des combattants face à la violence étatique avérée
selon les défenseurs du bitume, présumés eux honnêtes et œuvrant pour tous les
français. Sauf pour ceux et celles qui auraient tiré un avantage de la réforme
et tous ceux qui ne veulent plus des régimes spéciaux inégalitaires.
On entend
que l’obstination du gouvernement entraine de la légitime défense sociale et on
casse ou on bloque pour faire respecter le droit du peuple syndical et
protestataire. Les effets secondaires sont ignorés. Les réquisitions ne peuvent
être efficaces puisque d’autres grévistes empêchent leurs camarades de
travailler. C’est la démocratie populaire parait-il. On se bat contre un gouvernement qui serait
passé « en force » au parlement là où on fait la loi. C’est
inaudible et grotesque. Sans même attendre la décision du conseil
constitutionnel. Qui peut remettre en cause tout ou partie du texte et on aura
vécu tout cela pour ça. Ou déclarer la loi sous certaines réserves ou non
parfaitement constitutionnelle. Sans se prononcer sur le fond car ce n’est pas
son rôle. Si tel est le cas faudra -t- il brûler l’hôtel de Montpensier où
siègent nos 9 sages ?
Le gouvernement
a choisi une méthode sui generis et une voie législative inédite certes mais
qui est prévue par la Constitution. Sauf à soutenir que la Constitution est
dictatoriale et anti-démocratique on ne peut choisir les articles qui favorisent
et déclarer que ceux utilisés par l’adversaire sont inadmissibles, qu’il y
a un vice démocratique. Le terme est excessif et peut conduire à de grandes
difficultés si rien ne vaut, qu’il n’y a plus de hiérarchie des normes et
que la légalité est une option secondaire.
La
démocratie représentative a besoin de règles, de points de repères, de
contraintes librement consenties. Et de débats publics contradictoires. Puis on
applique la décision finale même si elle ne plait pas à titre personnel. Sinon il n’y a plus de nation avec des valeurs
communes et encore moins de république qui se fonde sur les institutions et le
suffrage universel. La rue ne peut être la norme suprême. Quel est le juge
de paix ? On n’est pas chez les talibans avec un ministre du vice et de la
vertu ! Le citoyen-travailleur n’a pas la science infuse. Ni nos élites
dirigeantes d’ailleurs qui veulent réformer pour faire des économies, plaire à
Bruxelles et aux marchés, et mettre la France en ordre de bataille dans la
compétition au moins européenne. D’accord mais après vraie concertation en
amont .Je suis le chef donc je les suis. La pédagogie ne suffit plus. Il faut
convaincre.
Si le
gouvernement a actionné l’art. 49.3 brandi des dizaines de fois par tous les
gouvernements de gauche comme de droite cela a permis à l’opposition de sortir
l’art. 49.2 qui peut entrainer la censure. Et la chute de l’exécutif. Donc
match nul. Mais quand on est perdant après le tir aux penalties
il faut être beau joueur. On ne recommence pas la compétition et on ne
demande pas aux supporteurs de mettre le feu aux tribunes adverses qui sont en
même temps les nôtres puisque nous payons tous. Pour que le résultat soit
annulé ou le score inversé.
Un prétendu vice peut conduire aussi à une
vertu : et si cette réforme était nécessaire ? Ne serait- ce que pour
éviter des déficits que chacun s’accorde à déplorer pour l’avenir. A défaut
c’est l’immobilisme et on maintient les privilèges et les injustices et comme
le sapeur Camember on creuse un trou - par la dette déjà colossale et l’impôt
car il faut trouver les sous - pour en combler un plus grand.
On a vu deux
couples : Martinez-Berger d’un côté suivi comme entraineur par M.
Mélenchon. Et Macron-Borne sans préparateur physique et mental. Mais qui avait
gagné le toss. Ils ont donné le coup d’envoi. François-René de
Chateaubriand voyant passer nuitamment
Talleyrand et Fouché allant se prosterner devant Louis XVIII pour re- devenir
ministres a eu cette formule : « [j’ai vu] le vice appuyé sur le bras
du crime ». Ce qui n’a rien à voir aujourd’hui bien sûr. On peut y ajouter
la cause de l’intérêt général. Dont chacun a une définition. L’aficionado
qualifiera le duo selon ses convictions mais on doit poser comme postulat que
chacun croit bien faire et qu’il n’y a pas d’arrière- pensées. Sinon on ira
vers une dérive grave.
Seulement
il faut revenir à la raison. On ne peut continuer à vivre ensemble dans
une telle intensité de conflits. On a plus besoin de calme et de sérénité que
de bruit et de fureur. Sans vice-versa.