mardi 21 mars 2023

VICE VERSA

 

                                                  VICE VERSA

                 Par Christian Fremaux avocat honoraire

L’affrontement qui a lieu en ce moment entre la légitimité du peuple et celle du parlement me parait dangereux. Je n’évoque pas le fond de la grosse colère sur les soixante-quatre ans dans des années dont chacun est libre de penser ce qu’il veut. Je m’inquiète de l’agitation et de la haine qui règnent. On n’est plus entre adversaires sur le plan des idées et des meilleures façons de gouverner dans l’intérêt collectif. Mais entre ennemis. On a l’impression désastreuse que l’on veut la mort symbolique de l’autre au nom de la certitude que le peuple peut tout. On entend des énormités. Le président n’aurait plus qu’à démissionner car à 9 voix près il a été désavoué. En oubliant que la IIIème république est née par une seule voix d’avance en 1875 et a duré ! Ou comme louis XVI prendre le chemin de Varennes.  Les députés qui n’ont pas voté la censure sont dénoncés, bientôt caillassés ? et pourquoi pas poursuivis pour haute trahison.

 Il ne faut pas tomber dans cette ornière. On a franchi un cap. On n’est plus dans un projet de réforme controversé à tort ou raison. Tout se confond.  Chaque camp est arc-bouté sur ses positions estimant détenir la vérité et voulant faire plier l’autre. La rue affirme que le peuple s’est prononcé mais personne n’a le monopole du peuple qui est divers et n’est pas sur une ligne unique.  Comme les politiques qui dans le même camp se divisent. Les sondages et les avis de minoritaires qui n’ont pas de responsabilités pénales ou électives dans les politiques publiques ne font pas une réalité. La violence  y compris verbale n’est pas tolérable quel qu’en soit le motif et ce n’est pas par le coup de poing qu’une démocratie doit fonctionner.  La loi n’existe plus. On n’obéit plus à rien au nom de la bonne foi affirmée des combattants face à la violence étatique avérée selon les défenseurs du bitume, présumés eux honnêtes et œuvrant pour tous les français. Sauf pour ceux et celles qui auraient tiré un avantage de la réforme et tous ceux qui ne veulent plus des régimes spéciaux inégalitaires.

On entend que l’obstination du gouvernement entraine de la légitime défense sociale et on casse ou on bloque pour faire respecter le droit du peuple syndical et protestataire. Les effets secondaires sont ignorés. Les réquisitions ne peuvent être efficaces puisque d’autres grévistes empêchent leurs camarades de travailler. C’est la démocratie populaire parait-il.  On se bat contre un gouvernement qui serait passé « en force » au parlement là où on fait la loi. C’est inaudible et grotesque. Sans même attendre la décision du conseil constitutionnel. Qui peut remettre en cause tout ou partie du texte et on aura vécu tout cela pour ça. Ou déclarer la loi sous certaines réserves ou non parfaitement constitutionnelle. Sans se prononcer sur le fond car ce n’est pas son rôle. Si tel est le cas faudra -t- il brûler l’hôtel de Montpensier où siègent nos 9 sages ?  

Le gouvernement a choisi une méthode sui generis et une voie législative inédite certes mais qui est prévue par la Constitution. Sauf à soutenir que la Constitution est dictatoriale et anti-démocratique on ne peut choisir les articles qui favorisent et déclarer que ceux utilisés par l’adversaire sont inadmissibles, qu’il y a un vice démocratique. Le terme est excessif et peut conduire à de grandes difficultés si rien ne vaut, qu’il n’y a plus de hiérarchie des normes et que la légalité est une option secondaire.

  La démocratie représentative a besoin de règles, de points de repères, de contraintes librement consenties. Et de débats publics contradictoires. Puis on applique la décision finale même si elle ne plait pas à titre personnel.  Sinon il n’y a plus de nation avec des valeurs communes et encore moins de république qui se fonde sur les institutions et le suffrage universel. La rue ne peut être la norme suprême. Quel est le juge de paix ? On n’est pas chez les talibans avec un ministre du vice et de la vertu ! Le citoyen-travailleur n’a pas la science infuse. Ni nos élites dirigeantes d’ailleurs qui veulent réformer pour faire des économies, plaire à Bruxelles et aux marchés, et mettre la France en ordre de bataille dans la compétition au moins européenne. D’accord mais après vraie concertation en amont .Je suis le chef donc je les suis. La pédagogie ne suffit plus. Il faut convaincre.

Si le gouvernement a actionné l’art. 49.3 brandi des dizaines de fois par tous les gouvernements de gauche comme de droite cela a permis à l’opposition de sortir l’art. 49.2 qui peut entrainer la censure. Et la chute de l’exécutif. Donc match nul. Mais quand on est perdant après le tir aux penalties il faut être beau joueur. On ne recommence pas la compétition et on ne demande pas aux supporteurs de mettre le feu aux tribunes adverses qui sont en même temps les nôtres puisque nous payons tous. Pour que le résultat soit annulé ou le score inversé.

 Un prétendu vice peut conduire aussi à une vertu : et si cette réforme était nécessaire ? Ne serait- ce que pour éviter des déficits que chacun s’accorde à déplorer pour l’avenir. A défaut c’est l’immobilisme et on maintient les privilèges et les injustices et comme le sapeur Camember on creuse un trou - par la dette déjà colossale et l’impôt car il faut trouver les sous - pour en combler un plus grand.

On a vu deux couples : Martinez-Berger d’un côté suivi comme entraineur par M. Mélenchon. Et Macron-Borne sans préparateur physique et mental. Mais qui avait gagné le toss. Ils ont donné le coup d’envoi. François-René de Chateaubriand  voyant passer nuitamment Talleyrand et Fouché allant se prosterner devant Louis XVIII pour re- devenir ministres a eu cette formule : « [j’ai vu] le vice appuyé sur le bras du crime ». Ce qui n’a rien à voir aujourd’hui bien sûr. On peut y ajouter la cause de l’intérêt général. Dont chacun a une définition. L’aficionado qualifiera le duo selon ses convictions mais on doit poser comme postulat que chacun croit bien faire et qu’il n’y a pas d’arrière- pensées. Sinon on ira vers une dérive grave. 

Seulement il faut revenir à la raison. On ne peut continuer à vivre ensemble dans une telle intensité de conflits. On a plus besoin de calme et de sérénité que de bruit et de fureur. Sans vice-versa.    

 

dimanche 12 mars 2023

Loi et constitution pour quoi faire ?

 

                              Loi et constitution pour quoi faire ?

                        Par Christian Fremaux avocat honoraire

Avec près de 50 ans au service de la Justice tant sur le plan juridictionnel que juridique je m’interroge : à quoi servent les textes légaux de toute nature, les lois et la Constitution ?  Il y a autant d’interprétations de la loi que d’avocats. Je plaide coupable. On oppose le pays légal et ce qui serait le pays réel issu des manifestations et des sondages. Ce serait ce dernier qui doit avoir la priorité. Et on devrait s’incliner quand il s’exprime à travers les syndicats ? Pourtant très minoritaires dans le monde salarié.  

 Ce n’est même plus l’affrontement de deux légitimités puisque la seule qui compte est celle du peuple. J’en fais partie mais on ne me demande jamais mon avis. Ni pour ni contre, au contraire. Mais dans une démocratie représentative si l’avis d’un seul ou de quelques- uns seraient- ils très nombreux l’emporte pour tout et à tout moment, il n’est plus possible de gouverner, l’Etat de droit n’est qu’une fiction.

On le constate chaque jour : les arrêtés d’un maire pour la circulation ou la gestion des déchets ne sont pas respectés.  Police et gendarmerie doivent user avec modération de contraventions ou poursuites pour ne pas heurter la sensibilité des uns et des autres. Des juges prononcent des décisions qui ne plaisent pas car l’opinion publique a déjà jugé : la présomption d’innocence est un concept désuet ! L’ordre et la loi sont faits pour les autres. Chacun s’estimant victime et de bonne foi a une circonstance particulière qui l’exonère de la règle commune. Le président F. Mitterrand parlait parfois de la force injuste de la loi. C’est vrai. J’ai subi et encore maintenant de nombreuses lois que je n’approuve pas. Mais la démocratie est de vivre tous ensemble malgré nos divergences. 

Au parlement le débraillé vestimentaire et intellectuel a pris le dessus.  Une députée a même décrété que c’était une ZAD. Si des parlementaires qui fabriquent la loi considèrent qu’elle est inique voire usurpatoire les bornes sont franchies. Il est arrivé que des magistrats refusent d’appliquer une loi qui leur paraissait liberticide selon leur conscience puisque toute autorité l’est devenue comme toute contrainte dans l’intérêt collectif. Comme les désobéisseurs professionnels et rebelles de toute nature le soutiennent. Et qui s’auto- affublent du terme de pacifistes qu’ils fassent le coup de poing pour se défendre contre l’ordre établi ou qu’ils se couchent sur le périphérique ce qui empêche les gens d’aller travailler. Avant d’autres actions de sabotages ou de discriminations au détriment de certains qu’ils n’aiment pas, leurs ennemis de la république selon leur tolérance. En prétendant qu’ils le font pour les autres, pour moi. Mais je n’ai pas besoin d’avocats  les très bons sont très chers et ils n’obtiennent pas toujours satisfaction !  

La loi est la volonté de la majorité issue des élections. Et qui émane du parlement après débats publics. Encore faut-il que les citoyens se bougent et aillent faire leurs devoirs avant d’hurler qu’ils ne sont d’accord sur rien. La démocratie participative c’est le vote dans les urnes et pas dans les AG à main levée. Ni la révolte à retardement avec des idées venant de bidules sui generis et de citoyens tirés au sort, ou des comités Théodule qui n’ont aucun sens, donnent de faux espoirs et qui me rappellent les exactions de la révolution française. Ou des croyances orientées des organisations payées sur fonds publics qui font la morale et savent ce qu’il faut décider. En toute impartialité cela va de soi. Pourtant la vérité est rarement univoque. Et elle ressort souvent d’un compromis entre exigences contradictoires. Experts prétendus sans avoir de responsabilités car s’ils se trompent ils ne sont ni poursuivis ni vilipendés. Ils partent à la retraite. Ou sont promus.

La loi peut venir aussi d’un pouvoir exécutif qui se croit omniscient et qui pense avoir la science infuse tirée de ses élites bureaucratiques sans expérience électorale et de la comptabilité tyrannique qui plait à la commission de Bruxelles. Les finances n’ont jamais remplacé les êtres humains avec leurs emportements et leurs bons sens. Mais des réformes sont évidemment nécessaires sinon on régresse. Le conservatisme de privilégiés mène à la ruine. Le monde change. Les conditions matérielles aussi. Le puits n’est pas sans fond. Il faut agir. Si un projet qui demande des efforts est fondamental, expliquons le bien, avec toutes les données. La loi n’est acceptée que si elle est comprise et réduit les inégalités. Sans perdant. Ou fixe les limites du bien et du mal. Ou punit celui qui a fauté contre la collectivité.

La loi est indispensable et doit être respectée dans le cadre des institutions. Il faut être constitutionnaliste chevronné pour suivre le débat sur les retraites. J’ai regretté de n’avoir pas été assez attentif quand un peu après mai 68 je suis entré en faculté de droit. 

Les articles de la Constitution sont faits pour être appliqués y compris le fameux 49.3 dont tous les gouvernements au pouvoir se sont servis sans vergogne. On ne peut soutenir «  faites ce que je dis pas ce que j’ai fait ou ce que je m’apprête à faire ». Il y a d’autres articles avec la censure,  le droit d’amendement , le vote bloqué ou le règlement des assemblées qui limite le temps des débats. Ce qui permet des manœuvres. A ce jeu de dupes on n’est pas toujours vainqueur. Ni le gouvernement, ni l’opposition, ni la rue. On le sait. Tout ceci est légal. On ne va pas discuter pendant des mois il y a d’autres priorités à envisager. Oppositions comme exécutifs ne se sont jamais gênés. Sous le regard attentif du Conseil Constitutionnel. Les cris de biche effarouchée des uns et des autres sont puérils. La Constitution ne s’use que si on s’en sert.  

Si la Constitution du général De Gaulle validée par les 14 ans de fonctions de M. Mitterrand qui depuis 65 ans montre sa solidité, est devenue dictatoriale changeons là. Mais prudence car avant de basculer dans une VI-ème république réfléchissons à ce que nous avons. Au prétexte de mieux écouter la voix du peuple qui est souvent changeante voire aphone, rajouter de l’incertitude et de l’éparpillement avec des conflits dialectiques sans fin à ce qui existe serait inconséquent. Et dangereux pour l’avenir. Par exemple avec un scrutin de proportionnelle intégrale. Outre le référendum par oui ou non (articles 11 et 89) qu’il ne faut pas rater existe déjà par la réforme de 2008 le référendum d’initiative partagée (1/5ème de parlementaires et 1/10ème du corps électoral). Il y a aussi le conseil économique, social et environnemental où l’on peut discuter. Rapprochons les départements et les régions du citoyen et soyons moins jacobin en faisant la réforme de l’Etat pour le rendre plus régalien.

Mais respectons la loi et usons de la Constitution. La démocratie se confortera.