jeudi 22 juillet 2021

Les conseils de prud’homme et le virus.

 

              Les conseils de prud’homme et le virus.

                Par Christian Fremaux avocat honoraire.

La loi rien que la loi et le droit avant l’émotion et l’intérêt particulier tels sont les leitmotivs et les devoirs des juges qui n’ignorent pas l’humain cela va de soi dans le cadre des intérêts supérieurs de la collectivité nationale, ni les grands principes de la république et les libertés individuelles comme publiques.  Ils doivent souvent résoudre la quadrature du cercle qui évolue selon les circonstances imprévues et le progrès défini par personne et souvent revendiqué par des minorités agissantes. Les tribunaux rendent des jugements et arrêts et pas des services et ne doivent pas être entrainés dans les polémiques.  Le covid-19 ne changera pas les fondamentaux de la justice et en particulier la pratique du conseil de prud’homme (composé de 4 juges bénévoles : 2 employeurs et 2 salariés) qui a la grande responsabilité de participer à l’ordre public social ce qui à notre époque est suivi de très près par des observateurs attentifs et exigeants avec des injonctions contradictoires selon la place où l’on se situe et les fonctions que l’on exerce entre employeurs et salariés, tous étant des citoyens. Juridiction qui utilise l’équité parfois pour corriger la force qui peut être injuste de la loi et pour juger de l’exécution des contrats de travail ou de leurs ruptures de la façon la plus mesurée et objective possible.  

Le président de la république a annoncé une « vraie-fausse » obligation vaccinale pour la rentrée en espérant n’avoir pas à sévir.  La loi est en cours d’être votée au parlement pour le passe sanitaire, et les débats sur les libertés sont âpres à juste raison s’agissant de droits essentiels pour tous. On parle de sanctions qui peuvent avoir un effet sur le contrat de travail d’où la saisine future et éventuelle des conseils de prud’homme dans les mois qui viennent. Ce sera le contentieux virus !  

Les juristes discutent de la portée de la recommandation forte par l’exécutif ou de la loi qui contraint. Avec un vaccin obligatoire pourra-t-on estimer par exemple qu’il y a une violation d’une liberté fondamentale qui entraine la nullité du licenciement déjà prévue à l’article L.1235-2-1 du code du travail et qui permet de déroger à l’application du barème légal de l’article L.1235-3 du code du travail qui fixe un plancher et un plafond de dommages-intérêts en fonction de l’ancienneté et la taille de l’entreprise ?

La ministre du travail a indiqué que si le salarié ne se vaccinait pas, il pourrait faire l’objet d’un licenciement pour motif personnel c’est- à- dire une cause réelle et sérieuse qui permet de recevoir les indemnités légales et conventionnelles puis de s’inscrire à pôle emploi après avoir reçu un avertissement, mais en persistant dans le refus.  Elle a évoqué aussi une mise à pied préalable (qui n’est habituellement pas payée) et qui renvoie à la faute grave privative de préavis et d’indemnité de licenciement (ancienneté) mais qui oblige l’employeur à régler aussi les congés payés. Je pense que le gouvernement n’a pas arrêté ses choix- tous mauvais a priori d’ailleurs- sur ces points de droit, comme il va écarter un licenciement pour faute lourde que réclament certains employeurs pour n’avoir rien à payer sauf quand même les congés payés. Le virus est déjà mortel. Il ne peut pas y avoir de surcroît des conséquences excessives dans les relations sociales sachant que les patrons se battent pour survivre et faire fonctionner leurs entreprises indispensables à l’économie en général et que les salariés subissent la crise comme tout le monde jeunes comme vieux.  Ce n’est la faute de personne si la covid-19 entraine des dégâts dans les domaines économique, social et de santé. Il ne faut pas que l’on en rajoute sur le travail, les libertés et la justice.  Vont peut- être s’y adjoindre des licenciements économiques individuels motivés par les méfaits du virus.  C’est -dire si le droit du travail – comme d’autres domaines telle la sécurité - risque d’être bouleversé car il faut de plus en plus concilier la défense de l’intérêt général et l’autorité de l’Etat en maintenant les libertés fondamentales de notre état de droit dans notre démocratie. Il y a des conflits de légitimités. Le pacte républicain va devoir être revu et conforté en s’adaptant à ce qu’on n’avait pas prévu.   

Les conseils des prud’hommes apprécieront les litiges puisqu’ils sont en première ligne judiciaire. Les juges de carrière des cours d’appel ou ensuite de la cour de cassation dans des années fixeront la jurisprudence et peut être on l’espère que quand ils se prononceront ,le virus aura-t-il disparu et la raison et la science auront triomphé ? En attendant vu l’urgence ce sont les conseillers employeurs et salariés qui porteront l’immense et redoutable honneur d’allier le droit et l’éthique, de concilier- ce qui est leur mission première- notamment les libertés individuelles et l’intérêt collectif et ainsi de rendre une justice de proximité et concrète qui pacifie.  Faisons leur confiance et attendons les textes légaux validés ou amendés par le conseil constitutionnel composé de sages.             

 

mardi 20 juillet 2021

La justice un monument en péril.

 

                                     La justice un monument en péril.

                            Par Christian Fremaux avocat honoraire

Quand le bâtiment va tout va parait -il sauf qu’avec la crise il a des difficultés ne serait- ce que pour avoir des matériaux et des bras, le confinement ayant ramolli des bonnes volontés. La covid-19 n’a pas amélioré la justice dans son fonctionnement et je crains que les dernières péripéties n’aient atteint les fondations. Cela me désole. Je n’ai pas plaidé activement  pendant plus de 42 ans quasiment chaque jour devant toutes les juridictions de France et de Navarre sans que je m’intéresse encore de près à la justice tant dans son organisation matérielle que pour ses messages dans la société à travers ses décisions .Bien qu’en retraite désormais je continue à exercer peu ou prou et comme président d’audience auprès du conseil de prud’homme à Paris où avec mes collègues magistrats d’origine professionnelle (nous sommes deux employeurs et deux salariés) nous faisons face à un contentieux très important et parfois âpre. La cour d’appel de Paris infirme ou confirme nos jugements et je prends acte du raisonnement en droit et en fait des magistrats de carrière.

Nous sommes quoiqu’en disent des excités peu objectifs dans un état de droit, ce qui veut dire que chacun peut saisir les tribunaux pour faire reconnaitre ses droits, conforter ses libertés y compris de vivre sans vaccin au détriment de la collectivité, voire se battre contre l’Etat c’est-à -dire nous pour l’obliger à agir. Nous vivons dans un beau pays ouvert à la démocratie que l’on critique pourtant et que l’on sabote par l’abstention, où tant de possibilités nous sont offertes en même temps que nous pouvons exprimer à haute voix notre mécontentement. On crie aux mesures liberticides pour tout et rien, mais on veut aussi être protégé. On a la société que l’on mérite et que l’on fabrique. Tel est le cas de la Justice qui n’est ni un pouvoir ni un contre- pouvoir mais une autorité.  

La justice est controversée depuis longtemps voire toujours. Salomon n’est plus  et ne peut arbitrer tous les litiges du quotidien.  César baisse ou non le pouce mais il doit tenir compte malgré lui des médias en continu et des réseaux sociaux donc des minorités agissantes, ainsi que des juges de la cour européenne de Strasbourg et des grands principes humanistes ou prétendus tels. L’opinion publique est entendue quand elle est dans le sens du politiquement correct sinon on doit l’écarter des prétoires naturellement.   On pense que la justice est forte avec les faibles et indulgente pour les puissants. C’est faux et les dernières ou plus lointaines personnalités condamnées vouent les juges aux gémonies. Je parle évidemment de l’aspect pénal qui aborde le mal quasiment le seul qui intéresse le quidam qui veut tout connaitre du criminel, et ignore les victimes en lâchant une larme de compassion, car cela aurait pu être pour soi ! Or le contentieux le plus important  dont les juges non médiatisés ont la lourde charge concerne les problèmes de la vie personnelle,  un divorce, une garde d’enfants, un licenciement,  les conditions de travail avec du harcèlement ou de l’inégalité, un permis de conduire, un petit litige d’abonnement  ou d’assurance, une construction et un permis de construire,  des relations  difficiles avec les administrations, les communes…C’est ce monument qu’il faut consolider, moderniser notamment  par des équipements numériques , des simples téléphones et  des photocopieuses,  remettre à proximité, faciliter la saisine par des procédures rapides et allégées moins complexes, ce qui veut dire augmenter le nombre des juges qui siègent réellement et leur demander d’être les plus véloces possible ; les payer mieux  pour avoir les meilleurs  professionnels,   les faire aider par des assistants administratifs, multiplier les greffiers, et obliger tout le monde dans certaines conditions à du rendement comme dans toute entreprise privée. Le résultat n’est pas l’ennemi du bien, de la réflexion et de la compétence. J’ajoute et de la responsabilité car aucun professionnel fût -il fonctionnaire ou magistrat ne peut se retrancher derrière son ministère ou l’Etat s’il commet une faute grave qui a eu des conséquences. Naturellement ce dernier point se discute.  

On ne peut se contenter de toujours palabrer pour savoir si les procureurs pourraient être indépendants du ministère de la justice ce qui n’est pas le cas constitutionnellement parlant et peut être une fausse bonne idée, et si les juges du siège ne cèdent pas à des pressions. Il faut faire confiance aux hommes et aux femmes, et instituer un système qui permet aux juges d’être impartiaux sachant qu’ils ont le droit d’avoir des humeurs et des convictions et que le plus difficile -et j’en ai une modeste expérience dans mon activité prud’homale- est de n’envisager que la loi rien que la loi, et de ne pas faire interférer avec le droit la morale personnelle ou indiquer le chemin à suivre. Les politiques sont là pour cela.

Bien sûr on se rappelle les maçons du mur des cons ou le parquet national financier qui a contrarié et le mot est faible la trajectoire de l’élection présidentielle de 2017.  Mais globalement la justice selon moi est neutre mais peut être suis- je naïf, et elle rend des arrêts pas des services comme l’a écrit le 1er président Séguier de la cour d’appel de paris au 19 -ème siècle. J’avoue que la mise en examen inédite pour un ministre qui reste à son poste à savoir M. Dupond-Moretti pour un éventuel conflit d’intérêts et la perquisition échevelée de ses bureaux à la chancellerie me perturbent, car la confiance en la justice représentée par une déesse aux yeux bandés s’érode. Mon excellent ex-confrère doit regretter d’avoir fait son travail jusqu’au bout pour défendre tous ceux qui l’ont choisi pour son talent et sa détermination ! On n’y comprend plus rien sur le rôle des uns et des autres et des magistrats entre eux. On ne peut pas dire que la justice en sort grandie. Il y a des fissures dans l’édifice.   M. Dupond-Moretti n’est pas heureusement M. Mélenchon et il ne sera pas en plus poursuivi pour rébellion ! Si des magistrats veulent choisir leur ministre, pourquoi ne pas confier le ministère du travail à la Cgt, Fo et la Cfdt réunis ; ou le ministère des finances au Medef et aux banquiers ; et peut être le ministère des armées à un objecteur de conscience ?  

Le ministère de la justice fait partie du domaine régalien et il doit être fort pour maintenir l’état de droit, défendre les institutions et les valeurs républicaines, et permettre aux citoyens d’exercer leurs libertés, aux entreprises de dégager de la valeur ajoutée, et de poser les limites là et quand il le faut. Il a aussi une visibilité symbolique. Quand la justice passe tout ne se résout pas mais tout peut se comprendre de façon équitable. Confortons notre monument qui est en péril et notre société en sortira plus confiante en elle -même et envers ceux qui la représente puisqu’il ne peut y avoir de plus égaux que d’autres. L’intérêt général n’est l’apanage de personne. La justice est une vertu.     

vendredi 16 juillet 2021

Devoirs d’été.

 

                                                     Devoirs d’été.

                         Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Nous sortons provisoirement d’une période difficile et il va falloir préparer la rentrée qui ne s’annonce pas sous des auspices favorables, mais j’espère me tromper, et nous allons nous lancer tête baissée dans la campagne présidentielle ce qui va entrainer toutes les outrances, approximations, injures hélas, disqualification des autres, et promesses improbables. Le citoyen a déjà fait connaitre sa désapprobation par une abstention record aux dernières élections locales. Il est fatigué des débats stériles, du manque d’efficacité de l’exécutif et de tous les dirigeants, des discours contradictoires souvent dans la même catégorie professionnelle comme les spécialistes de l’épidémie, et du fait que toute minorité prétend imposer sa vérité .Il se bat contre le virus en se résignant aux contraintes, et  va cependant  se mobiliser pour l’élection du futur chef de l’Etat car le français est sérieux, responsable, et il ne veut pas laisser son destin et celui de ses enfants entre les mains d’idéologues, de prétendus rebelles divers qui profitent en même temps du système, et il sait qu’il doit protéger les acquis et les valeurs républicaines et traditionnelles.

 Le progrès dont la définition est à géométrie variable et qui n’est pas toujours positif, ne doit pas avoir lieu dans n’importe quelles conditions, au profit de quelques groupes ou individus qui n’exigent que des droits et veulent faire notre bonheur malgré nous. Il n’est pas nécessaire de bousculer ou de déclarer périmés tous les cadres de vie qui font la beauté de nos territoires qui doivent rester vivants et sécurisés, et imposer des règles qui ne correspondent pas aux habitudes sociétales et séculaires qui ont fait leurs preuves. Le citoyen veut que l’on s’occupe de la proximité selon la formule polémique en son temps de « la Corrèze plutôt que le Zambèze », ce qui n’interdit pas que l’on accueille ceux qui sont convaincus que notre société avec nos manières de vivre est enthousiasmante, et que l’on participe au règlement des grands problèmes du monde en étant solidaire avec les plus malheureux. Il n’appartient pas aux élites prétendues et auto-déclarées de décerner des brevets du bien, et de dire ce qu’il faut faire ou non. Personnellement j’en ai assez d’être taxé de racisme pour tout et rien ; d’être accusé de discrimination quand je me réfère à la laïcité liberté qui permet à chacun d’exercer sa liberté de conscience mais qui ne peut entrainer des exigences et des partitions y compris sur le domaine public ; de devoir me repentir pour ce que mes ancêtres auraient fait de mal dans leurs époques pour tout sujet ; et de devoir demander pardon à qui s’estime victime… Et je n’énumère pas plus chacun ayant son expérience personnelle. Je ne digère pas les leçons de morale.  

Je crois qu’en réalité on attaque notre civilisation, ce qu’est notre nation millénaire, ses qualités, ses défauts parfois qu’il faut supprimer, mais ce qui nous a conduit à être dans le monde la 5ème ou 6ème puissance économique et militaire (des pays devraient nous en être reconnaissants) , et surtout à avoir un rayonnement universel par nos valeurs. A force de donner dans le contrat social des coups permanents de canif voire plus (le terrorisme individuel interne ou organisé) il y a le risque que nous sombrions dans le chaos. C’est un danger imminent qui impose une réaction forte en légitime défense.  Je n’évoque pas le terme délitement qui vaut à des généraux en retraite de comparaitre devant un conseil de discipline. La liberté d’expression est réservée à ceux qui se situent dans le camp du politiquement correct, notion fumeuse définie par personne d’ailleurs.  Ainsi quand j’entends des gens parfois très instruits et très privilégiés hurler à la tyrannie, ou à la dictature, ou au totalitarisme à propos de certaines décisions publiques qui désormais sont toutes liberticides (sic) y compris celles qui protègent contre la délinquance ou l’insécurité qui est vécue dans la réalité, ou parce qu’on veut préserver la santé collective, je m’insurge. Je pense qu’en Corée du Nord ou à Cuba et la liste des pays autoritaires qui mettent à mal leurs populations est très longue, leurs dirigeants qui s’auto- qualifient de démocrates doivent être pliés de rire à entendre nos états d’âme et nos discussions ! Nous succomberons par nos libertés et notre droit si  l’on n’y prend pas garde.

 Notre devoir d’été est de se calmer et de retrouver un niveau mesuré de débats qui n’incitent pas à la surenchère et à la violence. Personne ne détient la vérité.  Relisons les philosophes, les stoïciens, les tolérants, Voltaire et les autres, ceux qui définissent la Nation une et indivisible. Bannissons la haine et le complotisme des réseaux sociaux. N’oublions pas que la déclaration des droits de l’homme parlait aussi du citoyen. L’individu peut avoir un conflit d’intérêts avec le citoyen qu’il est d’abord. Sans civisme, sans l’acceptation volontaire de limiter nos ambitions et ce que nous voulons obtenir pour notre confort, l’Etat qui est nous dans sa diversité, ne pourra fournir. Notre devoir d’été est de nous préparer à penser collectif, et notre responsabilité individuelle est de coopérer aux efforts nécessaires. Il ne faut pas de plus égaux que d’autres qui exigent parce que ce sont eux et qu’ils le mériteraient. L’égalité est la norme. La fraternité n’est pas qu’une valeur devenue constitutionnelle et elle implique que chacun aille vers l’autre et que personne ne se soumette, à la condition évidente d’adhérer au cadre républicain, à ses principes, à l’ordre public.  Quant à la loi elle protège tandis que la liberté (sans limites) opprime. Mais nos libertés publiques ne sont pas en danger, les circonstances les malmenant quelque peu à titre temporaire.

Les politiques, les responsables syndicaux et de toute nature, tous les élus à leurs niveaux et les multiples candidats au poste suprême - quelle chance ont les français d’avoir autant de personnalités qui font le sacrifice de leur vie personnelle pour nous quidams de base - devront donner l’exemple, débattre avec sérieux voire passion pour montrer qu’ils croient en ce qu’ils disent,  et ne pas se contenter de critiquer. Ils devront avoir des programmes clairs, et proposer des solutions concrètes, des choix humanistes, sans révolution si possible merci. Ils ont tout l’été pour préparer leurs devoirs pour convaincre en respectant l’adversaire.  Le corrigé aura lieu en avril 2022.

Aux armes légales citoyens car il faut un état de droit fort, et des valeurs morales car le spirituel a autant de nécessité que le matériel indispensable. Optons pour une rentrée raisonnable. On doit y croire.  Sous les pavés la plage disait-on en mai 68. En octobre 2021 il faudra du béton armé pour consolider l’édifice, et pour les décisions difficiles à prendre du courage qui permet l’espoir. Nous devons gagner la paix.