L’Etat n’est -il qu’un tigre
de papier ?
par Christian Fremaux avocat
honoraire.
La société
Bridgestone avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait fermer son
usine de Béthune ce qui entrainait le licenciement de centaines de salariés. Ce
fut un tollé. Conformément à leur vocation et à leurs habitudes les syndicats
hurlèrent au scandale – à juste titre je l’avoue car le fabricant japonais de
pneus bas de gamme avait touché des aides et des subventions pour s’installer
sur place- et les politiques régionaux et locaux montèrent au créneau. On allait
voir ce qu’on allait voir ! Les noms d’oiseau volèrent. Le gouvernement dépêcha un ministre qui assura
qu’on ne laisserait pas faire, que Bridgestone devrait en passer par les fourches
caudines de l’exécutif, et annonça comme un succès phénoménal que dans les
semaines qui venaient on allait trouver une solution pour limiter la casse
sociale et contraindre l’entreprise à reconvertir le site, ne serait- ce qu’en
fonction de notre législation. On fut soulagé. Mais fatalitas, la sentence
vient de tomber : Bridgestone persiste et signe, la fermeture aura lieu. La
ministre déléguée à l’industrie a déclaré « que nous avions travaillé à un
plan qui réduit le surcoût de l’usine. Bridgestone a fermé la porte. Pour nous
cette décision n’est pas responsable ». Groupe mondialisé 1, Etat et région comme
commune, 0. Paroles verbales et morale humaine contre décision financière
autoritaire et lointaine. Il n’y a plus
pour ceux qui restent qu’à trouver un repreneur.
L’Etat n’a eu aucun pouvoir réel alors
qu’on attendait tout de lui. Ce n’est pas la première fois. Quand il était
premier ministre M.Jospin avait dit que
« l’Etat ne peut pas tout ». Il a payé politiquement très cher d’énoncer
cette vérité, car on a cru que c’était du cynisme, un aveu d’impuissance qui se
confondait avec le manque de volonté d’agir. On a vu qu’avec ses salariés les
fonctionnaires, l’Etat patron ou actionnaire n’est pas performant.
Avec la 2ème
vague du covid l’Etat - je veux dire le pouvoir exécutif approuvé par la
majorité parlementaire - a décidé de reconfiner, en faisant par lui -même la
distinction de ce qui était essentiel et de ce qui ne l’était pas. Ceux qui ne
peuvent plus travailler et sont en souffrance lui en veulent d’une décision
autocratique parfois incohérente prise dans la confidentialité d’un
conseil de défense, qui va entrainer des conséquences personnelles, familiales,
financières et économiques graves pour préserver voire sauver la santé de
millions de personnes. Gouverner c’est choisir en se trompant parfois, mais il faut
être modeste car s’il est facile de critiquer il l’est moins de proposer
des solutions qui font plaisir et sont efficaces ou qui ne nuisent pas à certains.
L’Etat est là encore mis en cause pour son impuissance supposée ou son
inefficacité.
Il en est de
même pour pratiquement chaque domaine et je cite celui fondamental de la
sécurité : il y a encore des attentats qui nous révulsent, de la violence
pour tout et partout, un climat anxiogène général. Le cri fameux « que fait la police ? »
se traduit par l’Etat est nul ou inexistant.
Avec la crise sanitaire inédite pour les
spécialistes comme pour les malades potentiels, l’Etat prend des mesures qui égratignent
quelque peu nos libertés pour tenter de réduire les effets du virus que
personne ne peut éradiquer, et qui sont peut- être selon les méchants plus du
domaine du principe de précaution pour ceux qui décident. En effet la Cour de
justice de la république est saisie ainsi que le parquet de paris et nos
décideurs qui voudraient bien miraculeusement que la crise disparaisse savent
que la justice peut les rattraper. On aura des responsables et coupables mais
l’ennemi invisible sera toujours là.
L’Etat
c’est-à-dire nous pour qui on gouverne, la haute administration qui incarne la
bureaucratie ; les services publics souvent tatillons avec le
particulier ; nos institutions de la Constitution de la 5 ème République telles
que voulues par le général de Gaulle et qui sont contestées par certains qui
veulent plus de participation à la prise de décision , de dialogue, de
réactivité, enfin tout ce qui constitue notre état de droit avec nos valeurs
éthiques, de civilisation et de vivre-ensemble qui fondent notre démocratie,
sont -ils suffisants ? L’Etat peut-il plus s’il ne peut tout ?
et faut-il en changer mais au profit de quoi ? Comme il y a 67 millions de
sélectionneurs pour l’équipe de France de foot., peut-il y avoir 67
millions d’avis autorisés pour répondre à la question ? On ne va pas tirer
à pile ou face, ou au sort comme pour la convention citoyenne sur le climat
pour résoudre les difficultés et définir du jour au lendemain un Etat qui fait
consensus et qui résout ce qui ne va pas. Le verbe des auto-proclamés experts
que l’on entend à longueur de journée et qui fatigue, ne remplace pas les actes
même s’ils sont maladroits ou pas aussi efficaces qu’on l’espère.
Dans les
années 1980-90 celles de M. Reagan et de Mme Thatcher et aussi avec l’arrivée au
pouvoir de M. Mitterrand qui ne remit pas en cause la constitution de 1958
qu’il avait combattue, il y eut un débat sur l’Etat à l’époque providence.
On réfléchissait à un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, en donnant aux
collectivités locales avec la décentralisation, aux entreprises, aux
initiatives de toute nature, plus de libertés. M.Guy Sorman écrivit un best-
seller : « l’Etat minimum ». La mondialisation s’étendait. Mais la réalité
s’imposa, les crises furent nombreuses et on revint progressivement vers une conception classique – pour les
français- de l’Etat tel qu’il avait
été construit au sortir de la 2ème guerre mondiale : un
parapluie, un bouclier, un garant des grands principes, un dispensateur de droits,
le recours suprême ,puis au fil des années celui qui garantissait les libertés
individuelles et des avantages, qui redistribuait, qui combattait les injustices réelles ou
supposées, qui créait de la richesse
pour tous dans l’égalité et surtout qui réglait toutes crises et menaces. On
lui demande donc tout et quand il ne fait pas, certains le trainent en
justice et des juridictions le condamnent ou lui donnent des injonctions ( par exemple
pour les rodéos en motos qui continuent
ou parce qu’il n’applique pas assez vite la transition énergétique). On l’aime,
on le veut, on le sollicite mais on le tient pour faiblard, peut mieux faire
comme on dit à l’école. Le léviathan est devenu un homme comme un autre ! même
si l’individu ne s’interroge pas sur son propre comportement (ex. les
règles respectées difficilement pour le confinement) et si le civisme n’est
plus une vertu cardinale.
Si rien
n’est parfait en France on devrait cependant être content. On voit ce
qu’il en est quand l’Etat se confond avec Dieu, ou qu’il n’y a plus
d’Etat ; ou quand l’Etat est dispersé entre les clans, les communautés,
les tribus. Si l’Etat est totalitaire c’est big brother, et si l’Etat est issu
d’une caricature de démocratie, gare aux libertés. On
exige désormais un Etat fort surtout dans les fonctions régaliennes, avec une
protection externe comme interne et en même temps un Etat bienveillant, gardien
des libertés, progressiste -sans définir le contenu du progressisme- et qui
crée la prospérité. Donc qui a résolu la quadrature du cercle. Les canards sauvages n’ont jamais été les
enfants du bon dieu, et pour que l’Etat donne ce que l’on veut de lui
il faut y mettre du sien, de la responsabilité et de la tolérance, et
comme dans l’auberge espagnole venir avec ses qualités, ses devoirs, sa raison.
L’Etat n’est pas un tigre de papier mais pour en faire le roi des animaux qui
maintient l’ordre et le droit il faut le nourrir sainement et lui donner de
l’espace. Ce sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 : se
protéger en restant libre.