vendredi 6 juillet 2018

L’illibéralisme, ou le pouvoir des mots que l’on ne comprend pas.


L’illibéralisme, ou le pouvoir des mots que l’on ne comprend pas.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Albert Camus disait que ne pas nommer les choses c’est nier notre humanité. Notre époque se caractérise par le fait que l’on désigne ce que tout le monde connait depuis des lustres par des expressions qui ne veulent vexer personne , qui ne sont pas entachées d’un soupçon de racisme ou de discrimination , voire de paternalisme, car il ne faut faire de peine à aucun individu, aucune communauté, aucune minorité agissante ou non,  aucune religion ,aucune philosophie ou idéologie, aucun endroit sur terre . Ainsi quand on parle de chères têtes blondes , une partie des enfants se sent- elle oublier ;  quand on évoque généralement «  les grands hommes » des femmes protestent et réclament  leur juste reconnaissance avec l’écriture inclusive ; les droits de l’homme sont considérés comme réducteurs et il faut les remplacer par les droits humains ; mais la technicienne de surface   continue à nettoyer les sols. Je laisse à chacun le soin d’avoir des exemples parlants car je ne veux humilier personne : soyons prudent par les temps judiciaires qui courent !…En politique c’est la même chose. On parle beaucoup de populisme sans que l’on sache exactement de quoi il s’agit, mais l’on constate que des Usa de M.Trump en passant par la Pologne ou la Hongrie,  voire désormais par  l’Italie chantre de la démocratie et de l’art, les populistes sont au pouvoir, et qu’ailleurs ils souhaiteraient y être si les électeurs sont encore plus nombreux à voter pour les partis qui  les représentent. Les évènements en matière d’immigration, de délinquance dans les quartiers avec les émeutes qui n’ont aucune justification quelques soient les incidents avec la police ou autre, ou d’autres circonstances  internes  (les retraites réformées, les dépenses publiques toujours très hautes à raboter,  la pauvreté et ce que l’on appelle l’assistanat…)  qui ne plaisent pas au citoyen de base,  font qu’une telle éventualité n’est pas à écarter y compris en France.
On parle donc d’illibéralisme comme l’a fait le président Macron au moment des vœux à la presse, ce qui ne nous rajeunit pas mais témoigne d’une réalité. Le professeur au collège de France Pierre Rosanvallon  définit l’illibéralisme  par une culture politique  qui disqualifie en son principe la vision libérale de la société. Selon lui l’Europe au sens d’union européenne avec sa commission formée de technocrates non élus  en est l’incarnation. La Pologne et la Hongrie en sont deux exemples  qui appliquent une approche spécifique et nationale de la gouvernance.  Ce qui ne plait pas à l’union européenne qui les tance de rentrer dans le rang et de respecter l’état de droit avec des élections libres, une justice indépendante, la séparation des pouvoirs.Les dirigeants de  Varsovie et Budapest (comme tous les Etats du groupe de Visegrad) renâclent. Et expliquent pourquoi ils agissent ainsi , ce qui est conforme affirment- ils au mandat reçu des électeurs. Ainsi la Pologne reprend en mains  les médias, et surtout  la nomination des juges, dont certains sont encore en place après avoir été nommés par le pouvoir communiste de jadis. Est-ce un argument sérieux ? Qui doit apprécier : les polonais ou les dirigeants européens ?
L’illibéralisme n’est pas le contraire du libéralisme ou de l’économie de marché. Il se situe dans une démocratie qui n’est pas hostile aux libertés en général, mais qui considère que celles-ci ne sont plus l’alpha et l’oméga de l’organisation de l’Etat. On emploie aussi parfois le terme de « démocrature »pour parler de ce genre de régime politique qui a toutes les caractéristiques classiques et apparentes  de la démocratie, avec un  exécutif fort,  un parlement  élu par des élections libres a priori, une justice qui est souvent «  contrôlée »,  des médias qui ne font pas n’importe quoi en matière de droit d’expression, le respect  strict de la loi , et une liberté de conscience qui doit rester «  à sa place » et ne pas interférer avec les pouvoirs. Et ceci dans le cadre d’une économie non administrée ou les échanges sont recommandés, même si l’Etat peut intervenir s’il le souhaite. Ce que revendiquent les dirigeants de ces pays qui sont fermés à toute idéologie sauf la leur, c’est le droit d’avoir une identité qu’ils veulent conserver, celui de choisir ceux qui entrent sur  leur territoire encadré de frontières ; de préserver leur culture, leurs us et coutumes, leur langue ; et de ne pas devoir être aux ordres  d’autres pays et de suivre des injonctions qui viennent de l ’extérieur à bonne ou mauvaise raison. Ils sont plutôt dans le conservatisme que dans le progressisme et considèrent que l’individu a aussi des devoirs envers la société. On partage ou non cette vision qui n’est pas celle de la démocratie des anciens grecs et de l’union européenne qui veille aux droits individuels, veut plus de transparence partout (même si elle devrait s’appliquer ce principe), des contre-pouvoirs car le pouvoir corrompt a dit Montesquieu, une justice réellement indépendante (la France est pointée du doigt pour ses procureurs dépendant peu ou prou de l’exécutif),le respect de l’humain y compris en matière de terrorisme , dans un état de droit avéré, et l’ouverture aux autres en vertu de principes universels.
N’est- ce -pas Edgar Faure ancien  chef du gouvernement  français qui avait trouvé cette formule : « l’indépendance dans l’interdépendance ». L’union européenne  souvent à tort  bouc émissaire des difficultés des pays,  a besoin de se ressaisir, de réfléchir à ce qu’elle est devenue et où elle veut aller, avec qui, dans quelles conditions, selon quelles valeurs, et comment faire l’union. Elle doit aussi tenir compte de l’évolution des pays après la chute du mur de Berlin qui cherchent le meilleur avenir pour eux, empruntent parfois des chemins sans issue qui peuvent déboucher sur ce que l’on ne veut plus voir  et qui ont besoin de faire leur expérience personnelle. Il ne faut donc pas leur tirer dessus à vue. Il faut les aider , leur montrer qu’ils se trompent sur certains aspects, et donner l’exemple.
La mode est ce qui se démode on le sait. Les mots ont un sens, parfois obscur. Faisons en sorte de convaincre le plus grand nombre que la démocratie traditionnelle  et la république sont les pires des régimes à l’exception de tous les autres, et laissons l’illibéralisme mourir d’extinction.

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