L’illibéralisme, ou le pouvoir des mots
que l’on ne comprend pas.
Par Christian Fremaux avocat
honoraire et élu local.
Albert Camus
disait que ne pas nommer les choses c’est nier notre humanité. Notre époque se
caractérise par le fait que l’on désigne ce que tout le monde connait depuis
des lustres par des expressions qui ne veulent vexer personne , qui ne sont pas
entachées d’un soupçon de racisme ou de discrimination , voire de paternalisme,
car il ne faut faire de peine à aucun individu, aucune communauté, aucune
minorité agissante ou non, aucune
religion ,aucune philosophie ou idéologie, aucun endroit sur terre . Ainsi
quand on parle de chères têtes blondes , une partie des enfants se sent- elle
oublier ; quand on évoque généralement
« les grands hommes » des femmes protestent et réclament leur juste reconnaissance avec l’écriture
inclusive ; les droits de l’homme sont considérés comme réducteurs et il faut
les remplacer par les droits humains ; mais la technicienne de surface continue à nettoyer les sols. Je laisse à
chacun le soin d’avoir des exemples parlants car je ne veux humilier personne :
soyons prudent par les temps judiciaires qui courent !…En politique c’est
la même chose. On parle beaucoup de populisme sans que l’on sache exactement de
quoi il s’agit, mais l’on constate que des Usa de M.Trump en passant par la Pologne
ou la Hongrie, voire désormais par l’Italie chantre de la démocratie et de l’art,
les populistes sont au pouvoir, et qu’ailleurs ils souhaiteraient y être si les
électeurs sont encore plus nombreux à voter pour les partis qui les représentent.
Les évènements en matière d’immigration, de délinquance dans les quartiers avec
les émeutes qui n’ont aucune justification quelques soient les incidents avec
la police ou autre, ou d’autres circonstances internes (les retraites réformées, les dépenses
publiques toujours très hautes à raboter, la pauvreté et ce que l’on appelle l’assistanat…)
qui ne plaisent pas au citoyen de
base, font qu’une telle éventualité n’est
pas à écarter y compris en France.
On parle
donc d’illibéralisme comme l’a fait le président Macron au moment des vœux à la
presse, ce qui ne nous rajeunit pas mais témoigne d’une réalité. Le professeur
au collège de France Pierre Rosanvallon définit
l’illibéralisme par une culture politique
qui disqualifie en son principe la
vision libérale de la société. Selon lui l’Europe au sens d’union européenne
avec sa commission formée de technocrates non élus en est l’incarnation. La Pologne et la Hongrie
en sont deux exemples qui appliquent une
approche spécifique et nationale de la gouvernance. Ce qui ne plait pas à l’union européenne qui
les tance de rentrer dans le rang et de respecter l’état de droit avec des
élections libres, une justice indépendante, la séparation des pouvoirs.Les
dirigeants de Varsovie et Budapest (comme
tous les Etats du groupe de Visegrad) renâclent. Et expliquent pourquoi ils
agissent ainsi , ce qui est conforme affirment- ils au mandat reçu des
électeurs. Ainsi la Pologne reprend en mains les médias, et surtout la nomination des juges, dont certains sont
encore en place après avoir été nommés par le pouvoir communiste de jadis. Est-ce
un argument sérieux ? Qui doit apprécier : les polonais ou les
dirigeants européens ?
L’illibéralisme
n’est pas le contraire du libéralisme ou de l’économie de marché. Il se situe
dans une démocratie qui n’est pas hostile aux libertés en général, mais qui
considère que celles-ci ne sont plus l’alpha et l’oméga de l’organisation de l’Etat.
On emploie aussi parfois le terme de « démocrature »pour parler de ce
genre de régime politique qui a toutes les caractéristiques classiques et
apparentes de la démocratie, avec un exécutif fort, un parlement élu par des élections libres a priori, une
justice qui est souvent « contrôlée », des médias qui ne font pas n’importe quoi en
matière de droit d’expression, le respect strict de la loi , et une liberté de
conscience qui doit rester « à sa place » et ne pas interférer
avec les pouvoirs. Et ceci dans le cadre d’une économie non administrée ou les
échanges sont recommandés, même si l’Etat peut intervenir s’il le souhaite. Ce
que revendiquent les dirigeants de ces pays qui sont fermés à toute idéologie
sauf la leur, c’est le droit d’avoir une identité qu’ils veulent conserver, celui
de choisir ceux qui entrent sur leur territoire
encadré de frontières ; de préserver leur culture, leurs us et coutumes,
leur langue ; et de ne pas devoir être aux ordres d’autres pays et de suivre des injonctions
qui viennent de l ’extérieur à bonne ou mauvaise raison. Ils sont plutôt
dans le conservatisme que dans le progressisme et considèrent que l’individu a
aussi des devoirs envers la société. On partage ou non cette vision qui n’est
pas celle de la démocratie des anciens grecs et de l’union européenne qui veille
aux droits individuels, veut plus de transparence partout (même si elle devrait
s’appliquer ce principe), des contre-pouvoirs car le pouvoir corrompt a dit Montesquieu,
une justice réellement indépendante (la France est pointée du doigt pour ses
procureurs dépendant peu ou prou de l’exécutif),le respect de l’humain y
compris en matière de terrorisme , dans un état de droit avéré, et l’ouverture
aux autres en vertu de principes universels.
N’est- ce -pas
Edgar Faure ancien chef du gouvernement français qui avait trouvé cette formule : « l’indépendance
dans l’interdépendance ». L’union européenne souvent à tort bouc émissaire des difficultés des pays, a besoin de se ressaisir, de réfléchir à ce qu’elle
est devenue et où elle veut aller, avec qui, dans quelles conditions, selon
quelles valeurs, et comment faire l’union. Elle doit aussi tenir compte de l’évolution
des pays après la chute du mur de Berlin qui cherchent le meilleur avenir pour
eux, empruntent parfois des chemins sans issue qui peuvent déboucher sur ce que
l’on ne veut plus voir et qui ont besoin
de faire leur expérience personnelle. Il ne faut donc pas leur tirer dessus à
vue. Il faut les aider , leur montrer qu’ils se trompent sur certains aspects,
et donner l’exemple.
La mode est
ce qui se démode on le sait. Les mots ont un sens, parfois obscur. Faisons en
sorte de convaincre le plus grand nombre que la démocratie traditionnelle et la république sont les pires des régimes à
l’exception de tous les autres, et laissons l’illibéralisme mourir d’extinction.
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