Réarmement civique
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
Le président
de la république a annoncé un grand réarmement civique. Je ne sais pas
exactement de quoi il s’agit mais notre talentueux premier ministre va
nous l’expliquer concrètement en dévoilant sa feuille de route. J’avoue
que le duo exécutif jeune et sémillant a du talent pour s’exprimer. C’est cela
le début du civisme : que tout le monde comprenne. Ce n’est pas de la
morale, c’est la justification de la cité. Pour l’action il faut attendre
le détail. Ce débat est existentiel.
Des
humanistes détestent le mot de réarmement qui est connoté guerrier. On frôlerait
l’affrontement entre les êtres. C’est donc à proscrire. Selon nos indignés
professionnels on devrait rester en l’état, convaincre par l’empathie
qu’il faut apprendre aux enfants. C’est vrai mais il suffit de voir
les cours d’école et ce qui se passe dans nos beaux établissements d’éducation
à l’intérieur ou autour ! Des professeurs y ont perdu la vie. Et ils ne
peuvent plus éduquer librement c’est -à -dire transmettre des savoirs puisque certains
contestent le fond de l’enseignement. Pourquoi, il faudrait le savoir
précisément ? Le citoyen n’est pas qu’un être spirituel. Il faut
donc faire plus, éduquer à l’intérêt général de l’enfant à l’adulte. La
collectivité a aussi le droit de vivre en paix. Il faut corriger les
manques donc réarmer.
Quant aux
jeunes qui sont oisifs faute d’école mais eux armés souvent, il faudrait
comprendre leur colère et les émeutes contre tout ce qui est public ?
J’avoue que l’hypothèse du président ne m’a pas convaincu. Personnellement je
suis pour le désarmement des voyous jeunes comme vieux ! Je vais
devoir rectifier ma pensée comme on le faisait chez Mao pour les
nostalgiques ou actuellement avec la nouvelle vague de ceux et celles qui
dénoncent, pétitionnent et demandent exclusions et démissions à tout bout de
champ quel que soit le sujet. Ce sont de curieux démocrates qui devraient
apprendre le civisme et la contradiction en sachant que la vérité n’est pas
univoque. Jusqu’à ce que le boomerang qu’ils ont lancé leur revienne en pleine
face. Il y a des armes à double tranchant lancés par des Torquemada.
Cessons de nous flageller car d’autres pays
sont moins regardants que nous même si la France pays des principes universels
doit garder son aura. Et sa première place au moins dans ce domaine un brin
éthéré. La compassion n’est pas encore érigée en principe constitutionnel et
n’est qu’un devoir personnel. Seule la fraternité l’est par la grâce des juges
du conseil constitutionnel en 2018 et pas par une délibération de l’assemblée nationale.
Certes on est tous des êtres humains d’où que l’on vienne. Mais peut-on tout partager
ou donner sans contreparties ? voire se sacrifier ? Qui veut mourir actuellement pour des idées
qui le dépassent ou pour soutenir par exemple la démocratie chez d’autres, ou
combattre toute forme d’agression ? Le civisme a-t-il des limites ?
Et à quoi sert -il ?
On sait réarmer,
nos canons Caesar sont très demandés ! Mais il s’agit pour la nation
non pas de se diviser ou de se confronter de l’intérieur en imposant des comportements.
C’est de surmonter les épreuves à partir de valeurs communes qui font
consensus. Se réarmer veut dire que l’on n’a plus d’arguments convaincants ou
plus assez.
Le président
a évoqué un réarmement des esprits. Celui des valeurs républicaines, celles qu’on
apprenait jadis à l’école publique qui se confondaient avec la phrase journalière
de morale élémentaire et qui permettaient à l’enfant de se structurer
mentalement, de savoir en gros où était le bien et le mal, qui l’aidait à définir
son attitude auprès de ses parents d’abord et ensuite des autres et des
institutions. Et de connaitre ses obligations dans l’intérêt public. L’enfant
puis l’adolescent savait qu’il y avait des autorités et un ordre
républicain qui assurent les libertés donc la vie en société. Il devenait
un adulte responsable, l’acceptait puisqu’il réfléchissait et doutait en
faisant sa propre opinion. Il accédait ainsi au rang de citoyen avec ses
devoirs. Il n’est pas question de revenir en arrière, le bon sens suffira.
Je n’adhère pas au postulat que le « progressisme »
sans borne n’apporte que des avantages et assure un avenir heureux. Si tel était
le cas on n’aurait pas à devoir se réarmer, c’est à dire à consolider nos
moyens de défense, et contre quelle attaque ? On s’est désarmé tout
seul ! Ne pas dénommer précisément
les choses ajoute au malheur du monde a écrit Albert Camus. L’homme/la femme a
besoin de repères- même discutables- de points d’appui, solides et d’armes
morales ou d’outils pour agir. Et de respecter des règles non écrites et la loi,
la désobéissance sauvage pour une cause prétendument juste n’étant pas une option.
Le civisme n’est pas l’autorisation débridée de suivre son bon plaisir.
Mais pour quoi
faire, au bénéfice de qui et comment ? Principalement il ne s’agit pas
d’éradiquer le paupérisme ou mettre fin à la délinquance, ou d’instaurer
de force l’égalité et l’absence de discrimination avec des libertés
individuelles et collectives sans limites. Il faut préparer le terrain et fixer
des buts. On évoque des droits et des devoirs tout simplement qui font parties
de l’ensemble que l’on détient en copropriété. L’objectif devrait être de
pacifier les relations sociales, entre majorité et minorités ou
communautés ; de donner un nouvel élan à notre démocratie et que
les citoyens mieux instruits y compris dans ce qui est du domaine immatériel (
à ne pas confondre avec la religion) ou philosophique prennent leurs
responsabilités en étant plus éclairés sur les enjeux, aillent aux urnes (car
l’abstention est un fléau qui menace toute décision publique), et discutent raisonnablement avec l’autre qui
n’est qu’un contradicteur et pas un ennemi. Un peuple a besoin d’un cadre pour
vivre en sécurité, et pouvoir discuter âprement s’il le faut mais dans
l’intérêt commun. L’application des droits de l’homme qui sont notre socle est
remise en question. La laïcité devient une interdiction ce qui est un
contre-sens majeur. Notre triptyque liberté égalité fraternité est discuté.
Notre
modèle démocratique - le pire de tous à l’exception de tous les
autres - n’est plus accepté car il manque de souffle et ne fait pas
suffisamment participer les citoyens qui veulent être les acteurs de leurs destins.
Les individus ne sont plus en phase avec les élites auto-proclamées et
mondialisées ou fédératives de l’Europe. Et qui décident à leurs
places. Le réarmement civique fera progresser mais ne réglera pas tout. Il fera
connaitre les réalités et les mettra en perspective. C’est un moyen pas la
solution. Pas une fin en soi ou la panacée. On a besoin d’une démocratie qui a
du sens, juste et forte. Reste à trouver les professeurs ou formateurs et
le programme que chacun approuve. L’Etat ne peut pas tout. Ce n’est
qu’un début continuons le combat.