La justice en temps de guerre
Par Christian Fremaux avocat honoraire
Malgré les
appels déchirants du président ukrainien qui dénonce les crimes qu’il attribue
à l’armée russe, la justice internationale ne bouge pas. Mais peut-elle agir
d’initiative sur le champ ? Doit-on s’habituer à des cris dans le
désert judiciaire celui du chaos et de l’indignation ?
La justice est traditionnellement représentée
avec un bandeau sur les yeux. Serait-elle aussi sourde ? L’agressé
voudrait que l’on déclenche immédiatement des poursuites pénales contre
l’agresseur et ses complices, qu’on les embastille et que la justice soit plus
forte que le tir des armes. Ce serait simple et expéditif mais je ne sais pas
si cela supprimerait les antagonismes profonds. L’heure de la justice n’est pas
encore venue. Comment organiser un procès équitable aux normes juridiques
universelles alors que quotidiennement les obus et les drones détruisent sous
menace nucléaire, que les soldats meurent et que les victimes directes ou
collatérales sont innombrables. Sans compter qu’il faudrait peut- être y
ajouter des co-belligérants supposés qui sont sur une ligne de crête même si la
cause est juste.
Sauf à
souhaiter que la guerre s’éternise jusqu’à une capitulation totale ou partielle
de l’Ukraine ou une défaite actée de la Russie ce qui bouleverserait l’ordre du
monde sous l’œil attentif de la Chine, de l’Iran, de la Corée du Nord ou
d’autres nations crispées sur leurs propres différends, il va bien falloir que
la diplomatie s’en mêle, vœu qui n’est ni soutenir ni lâcher une partie. Ou
qu’une médiation avec des personnalités neutres et insoupçonnables soit mise
sur pied. La guerre est le prolongement de la politique par d’autres
moyens disait Clausewitz. Et Clemenceau estimait que la guerre est une chose
trop grave pour la confier aux militaires même si ceux- ci sont indispensables
pour suivre les instructions et défendre la nation et /ou sortir au moindre mal
des stratégies des gouvernants civils. Les opinions publiques ont choisi leurs
camps. Il ne s’agit pas de forcer
la main de son destin à tel ou tel. La communauté internationale a montré ses
limites, les grands principes des droits de l’homme ne sont plus acceptés sans
réserve, et les espoirs notamment « plus jamais cela » d’après la 2ème
guerre mondiale ont été déçus. Une victoire à la Pyrrhus ne servirait à rien.
Elle est même parfois dangereuse, on a vu avec le traité de Versailles de 1919.
Les professionnels savent concilier les contraires et trouver des solutions
pratiques parfois inédites. Ou que l’on croyait impossibles. Il faut leur faire confiance.
L’obstination
parce que l’on estime avoir raison peut entrainer des escalades et encore plus
de victimes. La bataille des égos qui poussent à des sacrifices humains doit
s’effacer au profit de négociations concrètes. Chacun a de prétendues bonnes justifications.
Mais la Russie ne peut poser des conditions préalables comme la conservation de
tous les territoires annexés par les armes. L’Ukraine ne doit pas exiger avant
de parlementer le retour d’un seul coup à la situation ante, avant le 24
février 2022 voire aux accords de Minsk. Et la Crimée. Sinon il y aura blocage.
Dans ces circonstances
quel rôle peut jouer la justice internationale et de quelles juridictions
parle-t- on au vu des expériences passées ?
La justice
internationale ne pose aucune condition préalable. Quand elle est régulièrement
saisie elle répond en droit aux questions qui lui sont posées : quels
sont les crimes ? qui a fait quoi ? qui est responsable ? Elle
ne fait pas de politique ou de morale. La justice internationale condamne les
coupables avérés, après enquête, débats contradictoires et plaidoiries. Chaque
accusé peut se défendre. On se rappelle le procès de Nuremberg en 1945-46 et la
condamnation (à mort) de dignitaires nazis. Mais les hostilités étaient terminées.
*La cour
Internationale de justice [C.I.J] basée à La Haye est l’organe judiciaire de
l’ONU où la Russie dispose au conseil de sécurité d’un droit de veto.
Il faut donc passer par l’assemblée générale où des pays peuvent être réticents
et s’abstenir. Elle juge les Etats. Son contentieux le plus ordinaire porte sur
les conflits frontaliers.
*La cour
pénale internationale [C.P.I.] a été
créée en 1998 par le traité de Rome et a son siège aussi à la Haye. Avec un
centre de détention. Elle est saisie par
un Etat signataire du texte fondateur qui a été ratifié, par son procureur, ou exceptionnellement
par l’Onu dans le cadre du chapitre VII du traité. Sont dans son viseur
les individus, chefs d’Etat ou de guerre, soldats de métier, mercenaires, civils…
enfin tous ceux qui ont une responsabilité dans les atrocités. Sa compétence
est limitée aux crimes de guerre et d’agression, aux génocides, aux crimes
contre l’humanité. Elle se substitue à la justice nationale si celle-ci est
défaillante. Elle peut incarcérer.
* Des
tribunaux pénaux internationaux dédiés à des conflits déterminés ont été créés.
Ainsi pour le Rwanda avec le génocide des tutsis ; ou pour le Cambodge
avec les khmers rouges. Pour l’ex-Yougoslavie l’ancien président Milosevic a
été condamné. Il est mort en prison.
Mais la
justice internationale n’a pas le pouvoir d’arrêter un affrontement violent. Dès
le début de la guerre contre l’Ukraine la C.P.I. a ouvert une enquête et a pris
une ordonnance (un jugement) pour enjoindre à la Russie de cesser toutes
opérations militaires. On a vu le résultat. Ces juridictions ne disposent
d’aucune force coercitive. Il n’y a pas l’équivalent de casques bleus
magistrats. Le glaive de la justice est le droit international public, les
traités internationaux, le droit de la guerre et celui qui est humanitaire.
C’est un moyen pacifique. Et symbolique.
Le principe
de conviction n’exclut pas celui de réalité. Quand les bornes sont franchies il
n’y a plus de limites. Mais les victimes ont un droit inaliénable et non négociable
à la vérité. Et à la réparation. Malgré les raisons d’Etat. C’est souvent
long mais on y arrive. Personne ne peut bénéficier d’une immunité. Ce ne serait
pas juste. Plaute a déjà dit que l’homme est un loup pour l’homme. On a besoin
de croire en la justice et en des exemples pour l’humanité.