La
justice et la parole donnée.
Par Christian
FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On a peu l’occasion de rire par ces temps indécis où la
gravité du moment et les choix à faire paraissent si importants qu’on a plutôt
envie d’aller se coucher que d’entendre que la fin du monde est proche et que
seul tel ou tel candidat à l’élection présidentielle peut être le sauveur.
C’est vrai que certains sont plus crédibles que d’autres et que même un seul
-malgré les erreurs morales qu’il a admises - a un programme complet, cohérent , de l’expérience et saura agir sur les 2200
milliards de dettes et mener les
réformes structurelles sans que cela
soit une purge même si nous allons tous payer. Soyons réalistes : nous
n’élisons pas un prix de beauté ou de vertu-qui est parfait
d’ailleurs ? Nous avons besoin
d’une personnalité forte qui n’est pas d’accord avec tout et tous, et qui
choisit l’intérêt général, qui sait
trancher, qui rétablisse l’autorité de l’Etat dans le cadre européen à
revoir-ce qui nécessite des négociations avec les autres 27 Etats moins la
Grande-Bretagne qui a rejoint le large, et qui pourra s’appuyer sur une vraie
majorité parlementaire, car un parlement soudé et non composé de bric et de
broc d’élus sélectionnés par internet est indispensable pour réussir. Mais ce
n’est pas le sujet que je veux traiter. J’ai regardé sur BFM TV le débat avec
les 11 candidats, et j’ai retenu la débauche d’engagements par milliards de
dépenses, sauf pour deux candidats qui conseillent des économies et des suppressions de coûts.
Ce fut un festival de promesses. Juridiquement que vaut une promesse
électorale ? Jusqu’à présent rien , mais si cela changeait ? La
justice si décriée- mais peut -on s’en passer
dans un état de droit et une démocratie
même s’il faut revoir le rôle des juges et définir leur indépendance une
fois pour toutes pour éviter les mises en cause et les soupçons qui ne grandissent personne -vient d’être
saisie d’un demande inédite . La démarche peut paraitre farfelue mais elle
témoigne de l’exaspération des citoyens et de la méfiance envers le personnel
politique. Le journal la Provence s’est
fait l’écho d’une plainte qui est une
première, a priori : une militante du PS de Marseille avait voté aux deux tours de la primaire de gauche,
en payant les 2 euros exigés, en fonction de l’engagement des candidats qui
avaient signé la charte éthique de soutenir ensuite le candidat désigné par les
électeurs et de voter pour lui. Elle avait cru en la parole donnée-une
promesse, et à la signature des candidats. C’était
au moins un quasi-contrat en droit .Ce fut Benoit Hamon qui gagna.
Manuel Valls qui avait promis de soutenir le vainqueur fut battu. Mais après
avoir réfléchi il a changé sa décision après certainement un combat intérieur de conscience
car il n’est pas un traitre mais un responsable aguerri qui doute , recherche
l’intérêt supérieur de la France, sans s’oublier. Seuls les imbéciles ne
changent pas d’avis . Manuel Valls pour des raisons tendant surtout à barrer la
route au FN, a décidé de ne pas soutenir
le candidat de son parti le PS et non
pas de rallier -la sémantique joue - mais de donner
sa voix à Emmanuel Macron qui s’est dispensé de participer à une quelconque
primaire, pas de gauche bien sûr mais aussi pas de droite La militante PS s’est
sentie flouée et a déposé plainte pour abus de confiance contre le PS pour
obtenir le remboursement des deux euros versés, voire la condamnation pénale
des dirigeants du PS et peut être solidairement de M.Valls pour promesse mensongère et non
respect de la parole donnée. Les policiers ont entendu la plaignante et engagé
la procédure : le procureur de la république donnera- t -il suite ?
L’avenir nous le dira. Certes on est peut-
être dans la galéjade , puisque nous sommes à Marseille, mais si cette démarche en précédait d’autres, ou
que de très nombreux citoyens engageaient
une action de groupe que Mme Taubira a
crée, pour des faits qui n’ont rien à voir avec les élections bien sûr que
ferait la justice ?Et si elle prenait tout ceci au pied de la lettre vu
l’importance d’un vote en démocratie et ouvrait une enquête préliminaire, comme
pour les costumes d’un candidat ce qui
est d’une futilité confondante? Examinons le droit à cette occasion et laissons
la justice se prononcer en fonction de la loi et pas de l’émotion. Le tribunal de l’opinion
aime juger rapidement les autres et
surtout les puissants, les citoyens exigeant que nos élus soient exemplaires.
Je suis d’accord mais je préfère des élus efficaces et réformateurs rassemblant
les français plutôt que les diviser et prenant à bras le corps les problèmes
concrets qui se posent. Car si on ne fait rien , si on ne remet jamais en cause des acquis qui posent problèmes , si
chacun garde ses petits avantages et privilèges, si on « ripoline »
au lieu de reconstruire même si c’est
douloureux , on renforce le conservatisme ,on s’enfonce encore plus et les
générations suivantes paieront. Revenons à notre sujet. En matière civile
promesse de vente vaut vente ; des pourparlers commerciaux peuvent valoir
contrat et son défaut d’exécution être
condamné ; une rupture abusive de fiançailles peut donner lieu à des
dommages intérêts…. Les tribunaux jugent régulièrement tous ces cas. Mais les
promesses électorales non tenues peuvent- elles être sanctionnées par la
justice pénale ? Examinons de façon
non exhaustive quelques infractions du droit pénal .
L’abus de confiance visé par la militante est prévu à
l’article 314-1 du code pénal. C’est pour une personne« le fait de détourner
au préjudice d’autrui des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont
été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre , de les représenter ou
d’en faire un usage déterminé » .Ce délit est puni de trois ans
d’emprisonnement et de 375 .000 euros d’amende. La jurisprudence a déjà jugé
qu’il n’y avait pas besoin d’un contrat formalisé mais qu’un accord de volonté suffisait. La
primaire est- elle un contrat ou un
accord de volonté entre ceux qui l’organisent, les candidats et les électeurs ?
Je pense que oui, sinon à quoi sert-elle. ? M.Fillon a démontré malgré
tsunamis et vents contraires qu’il respectait le vote de la primaire de droite .Il
n’a pas renoncé ,n’a cédé sur rien et assumé tout. !: C’est un signal
encourageant sur sa fermeté même s’il lui arrive de céder aux douces sollicitations de ses amis et de
la loi parlementaire comme des dizaines de parlementaires de tout bord. !
Si les juges poursuivent le PS et M.Valls ils pourraient les condamner par
exemple à un travail d’intérêt général et à rembourser les deux euros
avec intérêts outre des dommages intérêts pour préjudice politique (M.TAPIE a
bien reçu des millions pour préjudice moral) et aux frais de procédure.
La militante en
furie pour impressionner les esprits aurait pu tenter de déposer plainte pour
escroquerie qui se distingue de l’abus
de confiance. Cette infraction est prévue à l’article 313-3 du code pénal. Mais
il faut caractériser des manœuvres frauduleuses : l’organisation de la
primaire de la gauche a-t-elle été montée dans le but de tromper les militants alors même que le nombre de la participation des électeurs a
fait l’objet d’un bug ? ; s’agissait-il exclusivement de récupérer
deux euros par personne ce qui avec entre 1,6 millions et 2 millions de participants
fait un joli pactole ? ; a-t-on forcé la volonté des participants
en sachant que l’engagement des
candidats de soutenir le vainqueur n’avait aucun caractère impératif ?...Seul
un tribunal correctionnel peut répondre
à ces questions après enquête d’un juge d’instruction.
Continuons à feuilleter le volumineux code pénal qui prouve que la
société aime avoir des responsables et coupables, que tout doit être judiciarisé,
et que la méfiance et la surveillance sont constantes, personne n’étant à l’abri- sauf celui qui ne fait rien et
encore , n’a pas d’activités ou de
prétentions surtout s’il réussit -d’être un jour mis en examen puisque il
s’agit d’apprécier des faits ce qui est subjectif, et d’interpréter la
loi, et malgré la présomption
d’innocence, être trainé plus bas que terre.
La militante du PS de « la bonne mère »
aurait –elle pu déposer plainte pour abus de faiblesse ? Ce délit de l’article 223-15-2 du code pénal est
« l’exploitation de la vulnérabilité , de l’ignorance ou de l’état de
sujétion psychologique ou physique d’une
personne afin de la conduire à prendre des engagements dont elle ne peut
apprécier la portée ». C’est puni de trois ans d’emprisonnement et de
375. 000 euros d’amende. Un électeur est par définition ignorant de la
réalité des dossiers, des combines, des petits arrangements entre amis, des
stratégies réelles. Il fait confiance à l’apparence, à ce que les médias
orientés souvent révèlent et à la bonne bouille du candidat : il vote au
« faciès » si je puis oser l’écrire .Il est crédule et veut croire
sur parole quand on le flatte et veut le convaincre qu’on peut travailler moins
pour gagner plus, qu’on peut recevoir un revenu universel, que le cannabis doit être légalisé pour calmer
les uns et les autres et assécher les trafics ; que l’Europe est la cause
de tous les maux, et qu’en se recroquevillant sur nous dans un monde ouvert, on
retrouvera la croissance ; qu’en dépensant toujours plus la prospérité
reviendra sans que l’on sache qui paiera ; que les 2200 milliards d’ euros
de dettes ne seront pas payés et que plus il y a d’agents publics- alors que
l’Allemagne ou d’autres pays de la zone euro diminuent la fonction publique et
fonctionnent bien- mieux c’est (ceux qui habitent en zone rurale apprécient
mais n’ont rien vu venir depuis 5 ans). Et qu’en faisant la synthèse de propositions
de droite ou de gauche, ou de l’air du temps, on gagnera collectivement. L’électeur
est en plein burn-out : il est devenu fragile donc vulnérable, et il est perdu. Il y a abus de faiblesse à
lui faire croire n’importe quoi . M.Valls en revenant sur ses engagements ,
tout en reconnaissant le sérieux de M.Fillon, a surtout démontré que les
promesses de M.Hamon engageaient les électeurs
à cautionner des idées dont ils
ne connaissent pas la portée.
Enfin évoquons la diffusion de fausse nouvelle qui est prévue par l’article
27 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (ce qui ne nous rajeunit pas) et
par l’article 97 du code électoral. C’est par exemple la courbe du chômage qui
s’inverse ou la reprise miraculeuse de
l’emploi par le candidat qui succède –fils présomptif- à M.Hollande., en
détaillant a minima les dépenses à supprimer et sans être clair sur
l’organisation du travail ou le code du même nom. , même si, il faut le
reconnaitre ce candidat est plus libéral que d’autres. Mais l’original vaut
toujours mieux que la copie. La fausse nouvelle s’apparente « aux fake
news » de M.Trump qui ne croit qu’en ses propres informations (on est
toujours mieux servi par soi-même) et à son combat contre les médias américains.
On constate donc que la justice dispose des moyens de
droit pour sanctionner les menteurs, ou
ceux qui ont des convictions à géométrie variable, et embarquent les électeurs
dans l’erreur, la déception et l’échec collectif. On n’est pas dans le domaine
de la morale personnelle qui est relative et dépend de chacun ou du
comportement privé .On n’a pas à entrer au domicile ni être voyeur dans la
chambre à coucher : on peut avoir commis des erreurs-qui n’a pas fait de
faute ou profité des circonstances ? – et être cependant le dirigeant
adéquat ayant les qualités pour redresser le pays et le remettre sur rails à
destination d’un objectif précis, avec des étapes et en rendant des comptes.
Avec les promesses de bateleur à qui il
faut signer un chèque en blanc, on est dans la parole publique, celle qui
engage et entraine la conviction des électeurs. Que les vertueux tous les jours
et depuis leurs débuts constituent un club ou un parti politique et présentent
un programme. Robespierre voulait le
citoyen parfait. Il a créé la terreur et a fini sur l’échafaud .M.Raymond Barre
ancien premier ministre avait déclaré que les promesses n’engagent que ceux qui
y croient. C’était plutôt cynique mais vrai à l’époque. Celle-ci est révolue .
Le citoyen navigue à vue lui qui s’était habitué à être déçu, et qui
est aussi versatile avouons le, ce qui expliquerait son attrait pour les
extrêmes ou les votes inutiles ou son désir d’abstention ce qui n’est ni raisonnable ni responsable quand
on est citoyen d’un rare pays sans guerre civile ou autre dans le monde ,où la
démocratie est réelle, vivante, et le peuple écouté, même si ce n’est jamais
assez. Il doit donc choisir avec raison et ne pas se laisser aller à son affect car le
candidat idéal à 100% dans tous les
domaines est une utopie. A l’heure du terrorisme, des menaces de toutes
natures, des difficultés économiques et sociales, ou d’identité et de culture
française, le citoyen doit se ressaisir et être responsable de lui-même et des
autres .On ne peut se permettre un pari et un vote à l’aveuglette.
SI les juges deviennent les arbitres de la vie
démocratique, et sanctionnent mensonges et contre-vérités sommes nous prêts à
ce grand chambardement ? Pourraient ils aussi sanctionner le président de
la république élu sur un programme qu’il
n’appliquerait pas, ou changerait en raison des circonstances. Le débat est
ouvert mais il faudra changer la constitution ce que proposent des candidats
qui veulent pouvoir révoquer en cours de mandat un élu, sur pétition d’un petit
pourcentage des électeurs. On va droit à l’instabilité.
Notons que les juges aussi changent souvent d’avis et de
raisonnements. Cela ne s’appelle pas des « mensonges » ou des
reniements, mais des revirements de jurisprudence. Et que se passerait-il si
c’est l’électeur qui change d’avis ? Après avoir porté un candidat au
pouvoir ,s’ il considère qu’il s’est trompé,
que l’élu fait aussi mal voire plus mal que son prédécesseur et que son programme conduit à la catastrophe,
et qu’il faut changer de président à peine installé, qu’il
« dégage » : faudra -t -il
saisir la justice ?
Si le peuple est changeant faut-il appliquer la parole de bertolt
Brecht auteur notamment de la
résistible ascension d’Arturo Uy : « puisque le peuple vote contre le
gouvernement il faut dissoudre le peuple ».
L’avenir de la justice en matière de promesses
électorales est donc grandiose si l’on considère que la parole donnée par le
politique est d’ «
évangile » c'est-à-dire vaut contrat et qu’en cas de non respect ou
d’inexécution la responsabilité du candidat élu est engagée. On peut rêver. En
attendant le 7 mai 2017, carpe diem comme l’écrivait le poète Horace (23-22 av.
JC.).