Une
justice à géométrie variable en raison de la
grâce présidentielle
Par
Christian FREMAUX avocat honoraire au barreau de paris et élu local.
On se réjouit
toujours quand une décision de justice pénale reconnait l’aspect humain du cas
qui lui est soumis car un dossier n’est pas qu’un ensemble de faits auxquels on
adapte des règles de droit et en matière de délits ou crimes en individualisant la peine qui tient compte
des circonstances, atténuantes ou aggravantes. L’homme, la femme, n’est pas qu’un
justiciable qui répond de ses actes face à un tribunal-correctionnel ou cour
d’assises- et les juges qu’ils soient uniquement professionnels ou accompagnés de citoyens qui
forment le jury, ne sont pas indifférents aux sentiments, à la compassion et
comprennent ce que peuvent être des circonstances exceptionnelles : ils en
tiennent normalement compte dans leurs décisions avec l’équité qui joue un rôle,
où il ne s’agit pas d’appliquer aveuglément un « tarif », de faire
œuvre de vengeance ou de réparation ou réhabilitation au nom de la société, de prononcer des
sanctions sévères à titre d’exemple, même si les décisions pénales ont aussi
pour objet de protéger à titre préventif les citoyens et de décourager ceux qui voudraient se risquer à ne pas
respecter la loi et ainsi enfreindre le pacte social . La plupart du temps
l’opinion publique critique les magistrats en estimant qu’ils ne sont pas assez
stricts, qu’ils sont plus ou moins laxistes, qu’ils prennent en considération
des excuses souvent sociales, mais plutôt fumeuses, et qu’ils semblent préférer
le délinquant aux policiers ou gendarmes
qui font leur métier ; ou qu’ils choisissent l’agresseur contre le patron (voir
la chemise arrachée du DRH de Roissy) ; ou qu’ils ne supportent pas que
l’individu cambriolé alors qu’il est chez lui se soit défendu et ait tiré sur
le cambrioleur… En un mot le citoyen considère que les magistrats sont trop
« mous » avec ceux que l’on n’aime pas , et qu’ils ne condamnent
pas assez, bien sûr sauf quand c’est pour soi car nous avons tous un cas particulier et quand nous comparaissons en justice nous
attendons compréhension et mansuétude. C’est humain , même si c’est
contradictoire avec notre opinion générale sur la justice pénale que l’on
voudrait très sévère sinon excessive dans des cas qui heurtent notre
sensibilité. La justice est faite pour nous donner satisfaction, à nous à titre
personnel que ce soit quand nous commettons une infraction ou que nous avons un
litige avec notre voisin, ou immobilier, ou social ou que nous divorçons. Le
juge est bon s’il fait droit à nos demandes : on le maudit dans le cas
contraire car il n’a rien compris et a fait droit aux demandes adverses qui sont
farfelues et pas justes. Et la justice est moins que rien quand elle rend une
décision que l’on estime inique ( par
exemple une libération anticipée avec récidive ensuite du libéré), et l’indépendance des juges est remise en
question : au nom de quoi en effet un juge serait il indépendant et ne
rend de comptes à personne, même s ’il commet des erreurs .Pourquoi n’est
il pas jugé en cas de faute avérée, s’interroge le citoyen de base qui ne
connait la justice-souvent anglo-saxonne- qu’à travers les feuilletons à la
télévision , ou des films au cinéma, l’avocat grimpant sur les toits et faisant des courses poursuites en voiture,
en étant seul contre tous, et le juge
faisant ses propres enquêtes au mépris de sa hiérarchie et du droit. Vieux
débat qui témoigne d’une méconnaissance profonde de la justice où le juge doit
faire le grand écart : indulgent pour soi, et méchants avec les autres.De
même tout le monde se gargarise du terme indépendance de la justice mais qu’entendons-nous
en pratique par ce concept ? En France il va bien falloir qu’un jour nous
mettions la justice qui est en faillite à « plat » pour l’ausculter
faire des diagnostics et savoir comment
on peut la réparer ou la reconstruire et en faire une institution performante,
non touchée par le doute ,reconnue dans son utilité sociale puisque qu’elle
conjugue le droit et l’éthique, et jouant un
rôle d’arbitre impartial avec des
juges mieux payés car ils ont une
responsabilité considérable avec l’avenir d’un justiciable entre leurs
mains, se consacrant aux affaires
essentielles et de principes pour
simplifier le droit que nul n’est censé ignorer ce qui apportera au moins une
sécurité juridique, sur le plan des domaines civil, social, administratif, en
étant débarrassé de contentieux de masse qui lui prend tout son temps, et en ne
détachant pas des magistrats un peu partout dans des autorités indépendantes,
dans les ministères… la fonction du juge étant d’être dans les tribunaux à l’audience pour rendre des jugements et arrêts
dans un temps rapide (ce qui va obliger les avocats à être aussi plus diligents avec des calendriers de procédure où le renvoi devient exceptionnel) ; et
en leur donnant les moyens modernes de travailler (du matériel y compris
numérique, des assistants, des greffiers…) ce qui veut dire un budget de la
justice qui soit d’ampleur et non pas une variable d’ajustement. Et peut être
en développant la responsabilité personnelle du magistrat, avec des barrières
pour éviter les mises en cause intempestives ce qui est la contrepartie d’une
indépendance revendiquée. L’indépendance de la magistrature-sauf pour les
magistrats du parquet qui dépendent du ministère de la justice(la cour
européenne des droits de l’homme de Strasbourg nous demande de revoir leur
statut)-est un serpent de mer qui resurgit à chaque incident et la polémique
qui s’en suit. Qu’entend- t- on par indépendance ? Il est acquis que les
magistrats ne reçoivent plus d’instructions dans les dossiers individuels et qu’ils jugent en leur âme et
conscience en respectant le droit. On entend aussi parfois que des magistrats
refusent d’appliquer telle ou telle loi votée par le parlement en vertu de la
majorité au pouvoir, en prétextant qu’elle est liberticide ou contraire aux
grands principes de droit ou contre-productive .Ce sont des avis engagés ce qui
ne devrait pas exister, même si le juge est un citoyen et qu’il a le droit
d’avoir des convictions personnelles. . Le justiciable est choqué
d’entendre un magistrat syndicaliste
venir s’exprimer dans les étranges
lucarnes pour dire que lui gardien de la loi ne l’appliquera pas ou pas
comme elle est écrite. Je ne parle que pour mémoire de la jurisprudence qui
consiste à interpréter la loi ou en combler le vide, qui est parfois orientée
par des considérations plus idéologiques que juridiques. Le citoyen a donc le
sentiment que le juge est un électron libre, et que le procès peut avoir un
résultat aléatoire.
Voici pour
la justice au quotidien mais quand survient une affaire qui mobilise l’opinion
publique, ou que les médias ont choisi un thème pour faire campagne, le citoyen
est encore plus étonné : il ne comprend pas par exemple dans le cas de Mme jacqueline
Sauvage qui a tué son mari par des coups
de fusil dans le dos, comment le président de la république a pu la gracier, en
niant le travail d’études et de
réflexion des juges avec leurs doutes et
leurs certitudes, ceux des citoyens jurés qui pendant deux audiences d’assises dont un appel et ce sont des
heures, avaient étudié le dossier pour se forger une intime conviction .Les
juges de Mme Sauvage doivent être amers .Ils n’ont pu se tromper. Ecarter leur décision c’est leur faire passer comme message qu’ils n’ont rien
compris, mais que le chef de l’Etat a lui, dans sa tour ,solitaire et avec sa
science infuse en ne s’occupant que du cas de Mme Sauvage qui est
coupable, une qualité de plus :
celle de connaitre le droit et l’âme humaine. Ce n’est pas comme cela que la
justice retrouvera un lustre et fera l’admiration du peuple qui n’a pas pour
elle beaucoup de considération !
Je ne
connais naturellement officiellement rien de ce dossier que j’ai
suivi à travers la presse qui faisait campagne pour défendre les femmes
battues, les violences conjugales ce qui est une cause qui mérite d’être
soutenue. La presse fait son métier mais par expérience professionnelle je sais
que parfois elle ne relate que ce qui l’intéresse et que ses comptes rendus
sont loin de ce qui se dit à l’audience à partir du dossier qu’examinent les
juges. IL faut donc être prudent. J’ai
compris que Mme Sauvage se disait être une femme battue depuis des dizaines
d’années, avoir supporté un époux violent, tyrannique et alcoolique, ayant
abusé de sa femme et de ses filles ce qui est atroce et inhumain, et que brutalement elle n’a pas pu surmonter
d’autres coups et remontrances, a pris un fusil et a tiré dans le dos de son
mari, trois fois et l’a tué : c’est un meurtre. Devant la cour d’assises
composée de juges professionnels et de simples citoyens –qui comprennent plus
les sentiments que le droit a priori- Mme Sauvage a été condamnée. Ses avocates
si j’ai bien compris avaient plaidé la légitime défense (ce qui fut une erreur
car les conditions de droit n’étaient pas réunies) quitte à en élargir les
conditions à une légitime défense « préventive » ou acceptable et justificative en cas de
violences conjugales? Mais si tel avait
été le cas il aurait d’abord fallu que la loi soit changée. La cour d’assises a
condamné deux fois, et n’a pas acquitté. On peut donc supposer qu’il y avait
dans le dossier suffisamment de faits avérés pour entrainer une condamnation.
Les juges (y compris les citoyens du jury) ont fait leur travail , en refusant
d’accorder l’absolution à ce qu’ils ont considéré être un geste extrême,
violent , volontaire ; ils ont « modéré » (tout est
relatif) la peine en la fixant à 10 ans
et en sachant qu’il y avait des remises de peine possible et la
libération conditionnelle, ce qui veut
dire qu’ils ont pris en compte le calvaire de la vie de Mme Sauvage et de ses
enfants, par des circonstances atténuantes ce qui me parait légitime. Puis le
comité de soutien et la presse se sont déchainés et ont fait pression notamment
sur le président de la république .Celui-ci a hésité d’abord (le dossier ne
l’avait donc pas convaincu ? en accordant une grâce partielle (qui est un
droit personnel n’ayant pas à être motivé alors que le plus petit jugement doit
comporter des motifs) pour permettre à
Mme Sauvage de présenter une demande de libération conditionnelle. L’article 17
de la constitution de 1958 indique que le président de la
république « a droit de faire grâce à titre individuel ». La
grâce doit être demandée par l’intéressé ou son représentant. En application de
l’article 19 de la constitution le
décret de grâce doit être signé par la premier ministre et le garde des sceaux.
Cette grâce partielle n’a pas permis à Mme Sauvage d’être libérée car le juge
d’application des peines a considéré
qu’elle restait dans une posture victimaire et qu’elle n’avait pas suffisamment
conscience de la gravité de son acte .Les bonnes consciences et les militantes du féminisme qui se battent contre les violences faites
aux femmes (aux hommes aussi ?) ont hurlé au déni de justice et on a vu
des flots de larmes envahir les écrans. Comment ne pas être touché et
s’apitoyer ? On a dénoncé une justice impitoyable, inhumaine, un droit
désuet, des juges aveugles et sourds. Et la fameuse indépendance de la justice
qu’en fait-on ? Varie-t-elle selon les circonstances et le cas à
défendre ? . On n’avait pas entendu de mêmes bonnes âmes s’indigner des
violences faites aux policiers et aux gendarmes par de jeunes
« sauvageons » qui veulent tuer du flic, et l’impossibilité pour
celui-ci d’évoquer la légitime défense
et de se défendre à armes égales ( un projet de loi améliorant la
situation juridique est en cours d’examen
heureusement). M.Hollande a alors
fait acte d’autorité - ce dont il faut se féliciter pour une fois, mais à
mauvais escient car le cas concerné n’est pas exemplaire de mon point de vue)-
en prononçant une grâce totale. Je pense que le fait qu’il ne soit pas candidat
au renouvellement de son mandat présidentiel y est pour quelque chose, car je
ne crois pas qu’il aurait fait acte d’une
telle « autorité »contre les magistrats s’il avait été de nouveau candidat en mai pour
incarner la fonction régalienne où il faut incarner la force de la loi et
l’autorité de la chose jugée : mais c’est un soupçon personnel et peut
être que je médis ?. Qu’en est-il de l’indépendance des magistrats puisque
le président efface la peine, donc Mme Sauvage ne fait plus de prison , mais
elle reste condamnée ce qui veut dire qu’elle n’est pas innocente. Les
magistrats sont vent debout contre la décision du président qui consiste à
annuler-sans motifs de droit ou de fait
avérés à part de l’humanisme ce qui est déjà beaucoup- la décision du
juge de l’application des peines. Cela rejoint ce que le président avait
déclaré aux deux journalistes du Monde qui ont écrit « un président ne
devrait pas dire ça. » en estimant que la magistrature était une institution
de « lâcheté », de « planqués », de « faux
vertueux. »[sic]. Le public ou certains qui ont pris fait et cause pour
Mme Sauvage , avec curieusement une partie plutôt démagogique de la classe
politique-pourquoi elle d’ailleurs qui n’a pas dénoncée la condamnation
par la cour de justice de la république de Mme Lagarde dans le dossier du scandaleux M.Tapie qui garde d’ailleurs les
sous faramineux qu’il a reçus ?-, considèrent que le président a bien fait de
prononcer une grâce totale et a allié la
justice à l’humanisme ( ce qui ne serait donc pas le cas dans les autres
dossiers), tandis que d’autres dénoncent le mépris de l’indépendance des
juges et le permis de se faire justice à
soi-même, porte ouverte à n’importe quoi, par la grâce. Le meurtre peut ainsi être excusé si la
« cause » est bonne ou dans l’air du temps et légitimée par une
campagne de presse. Nicolas Sarkozy voulait supprimer ce pouvoir de grâce, mais
il n’a pas eu le temps de le faire, comme il l’a réalisé pour l’amnistie. Si
nous voulons une justice forte, insoupçonnable, libre de dire le droit positif,
il ne faut pas que le pouvoir exécutif et en particulier le chef de l’Etat
garant des institutions et de l’indépendance de la justice et donc des libertés
individuelles, s’immiscent dans le
processus judiciaire et se substituent
aux juges surtout comme pour la cour d’assises quand ce sont des particuliers
tirés au sort qui prennent leur rôle avec conscience et responsabilité. Le
peuple des assises qui a rendu la justice est ainsi désavoué, au-delà des
magistrats.. La justice ne peut être à géométrie variable. Elle doit juger les
puissants comme les misérables de la même façon , ceux qui ont un comité de
soutien avec la presse comme ceux qui sont seuls, et comprendre tous ceux qui
comparaissent en alliant le droit et l’équité. La compassion n’est pas encore
un mode de juger et la subjectivité est à écarter. Le droit de grâce doit être
supprimé ou en tous les cas limité pour
des causes humainement et objectivement injustes. Sinon chacun estimera que son
cas mérite l’absolution et les tribunaux ne serviront à rien. Quelque soit l’appréciation du chef de l’Etat du bien et du
mal, il n’a pas le monopole du cœur et
la maîtrise de ce qui est juste ou non.
Le droit de grâce qui relève de sa
seule décision n’est pas fait pour contourner la justice ou faire comprendre
aux juges que leur indépendance est relative puisqu’il y a à l’Elysée un juge
suprême. Notre démocratie a besoin d’égalité, et la justice participe à cette
nécessité. La fraternité s’impose à tous, juges professionnels ou occasionnels.
La liberté des citoyens est de croire en la justice : ne les décevons pas.