La justice pénale fait-elle l’élection
ou de l’art de se répéter ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu
local.
On aime ou
on maudit les juges selon le côté où l’on se situe, mais ils jouent un rôle
essentiel dans notre état de droit.
A la fin des
vacances les juges des tribunaux administratifs et particulièrement ceux du CONSEIL d’ETAT ont été au soleil à propos des
arrêtés contre les burkinis. J’avais écrit dans mon dernier article d’août 2016 que le burkini n’était pas
contraire à la loi et que l’on ne pouvait soutenir sérieusement qu’il
favorisait le terrorisme pour l’interdire. Le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté
d’interdiction d’un maire en indiquant qu’il n’y avait pas de preuve tangible
du trouble à l’ordre public. Dont acte en droit car s’il y a un jour trouble on
pourra interdire- ce qui ne vaut pas approbation sur le plan moral et des principes
puisque je pense que le burkini est une provocation pour tester la résistance de la république et
savoir si les pouvoirs publics ont de l’autorité ou non, et est contraire à nos
valeurs d’égalité homme- femme, et une atteinte à la dignité , même s’il est porté « volontairement »
par certaines femmes. Les juges administratifs se sont prononcés, qu’on les
approuve ou non, mais la discussion continue.
Ce lundi 5 septembre 2016 les juges d’instruction
ou du tribunal correctionnel ont été mis en lumière. Dans cette même journée on
voyait d’abord l’étonnant ancien ministre M. Jérôme CAHUZAC qui avait
démissionné du gouvernement après avoir menti à tous notamment devant le
parlement puis finalement admis sa fraude fiscale, répondre au président du
tribunal que son premier dépôt d’espèces en SUISSE l’avait été
pour faciliter la campagne électorale de M.ROCARD : que ne l’a-t-il
pas dit plus tôt du temps que M.ROCARD était vivant et que l’on aurait pu interroger.
Mais M.CAHUZAC a pris soin de préciser que
M.ROCARD n’était au courant de rien. Ouf, mais personne n’a jamais
soupçonné M.Michel ROCARD de tricher, même si on ne partageait pas ses
convictions politiques: il était un homme politique loyal, disait la vérité ou
ce qu’il croyait sincèrement, et sur le plan moral il avait des principes. Le
terme fraude accolé à celui de M.ROCARD est inimaginable. Je pense que
M.CAHUZAC a plutôt aggravé son cas avec cette déclaration et je plains ses
excellents avocats : ils vont avoir du travail et du talent à déployer pour
convaincre le tribunal !Puis on a ensuite appris par les médias que le procureur
de la république demandait que les
personnes mises en examen dans l’affaire dite BYGMALION ou plutôt des comptes
de campagne présidentielle de M. SARKOZY , soient renvoyées devant le tribunal
correctionnel. Ce sont les juges d’instruction qui vont prendre la décision de
suivre le parquet ou non, tous les mis en examen étant toujours présumés
innocents à ce stade de la procédure. Rappelons que M.SARKOZY a déjà payé de sa
poche la sanction financière importante qui avait été décidée par le conseil constitutionnel, justement pour
dépassement de ses comptes de campagne. Peut-il être en plus poursuivi et
condamné pour le même motif- et pas pour une autre infraction soyons limitatifs
et objectifs-le débat est ouvert. M.SARKOZY a notamment Me HERZOG comme
conseil, qui est un avocat de talent et combatif. Rien n’est donc joué pour les
ennemis ou les adversaires ou les concurrents de M.SARKOZY dont certains
doivent se souvenir et se regarder dans la glace, avant de se réjouir.
La journée
du 5 septembre a donc été animée par la justice. Certains s’en désolent en
disant que les juges se sont mêlés de politique ; d’autres s’en
réjouissent en soutenant que la justice
est indépendante et que l’on n’a pas à commenter.
La question
est de savoir si les affaires de justice influencent ou non le vote des
électeurs. J’avais écrit le 6 mars 2016 sur mon blog l’article qui suit. Il est
encore plus d’actualité.
« On dit que les juges excèdent leurs missions et se
mêlent de politique quand c’est un ami qui est concerné ou le candidat que l’on
soutient qui est mis en cause. Est-ce vrai ? On dénonce alors un
gouvernement des juges dont la légitimité est contestée et on fait prévaloir la
supériorité du suffrage universel : est-ce bien raisonnable ? On est
à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 et tout semble s’accélérer
en particulier les mises en examen soit d’une personnalité de premier plan soit de
collaborateurs proches de certains candidats ; certains bénéficient du
statut de témoin assisté (notion de procédure pénale qui permet d’avoir accès au dossier et un
avocat) ce qui ne veut pas dire innocence comme on peut le penser, et s’en
revendiquer à tort. Tout ceci sous l’œil impitoyable des médias qui cherchent
le scoop, insistent sur la mine déconfite des intéressés même si tous estiment
être sereins, n’avoir rien fait de reprochable et avoir pleine confiance dans
la justice de leur pays, en la maudissant in petto.
Chacun connait pourtant le principe de la présomption
d’innocence à savoir que tant qu’un tribunal n’a pas prononcé définitivement la
culpabilité d’une personne poursuivie,
on doit être considéré comme innocent c’est-à-dire de n’avoir pas commis
d’acte délictueux. On revendique ce principe pour soi, pour son camp, mais on
l’ignore pour l’adversaire, pire on le bafoue allégrement et le tribunal des
incompétents, ceux qui ne connaissent pas le dossier mais qui ont glané des
rumeurs, des bouts d’enquête, celui de
l’opinion, se transforme en juge d’un jour et prononce par avance le verdict qu’il souhaite. Ces manipulations
influencent-elles l’électeur, celui qui voit le spectacle et va se déterminer
bien sûr selon ses convictions et les programmes proposés, mais aussi sur la
personnalité des candidats ? La morale domine-t-elle l’éventuelle décision
des juges ?Aucun membre des partis principaux (P.S ;Les
républicains ; le front national ) n’est à l’abri d’une
« affaire » passée ou à venir. Il est donc contre-productif et par
ailleurs inexact de dénoncer un « gouvernement des juges » car pour
que le procureur de la république ouvre une enquête préliminaire ou que des
juges d’instruction instruisent à charge et à décharge (le non-lieu existe et
certains en ont déjà bénéficié) , encore faut-il qu’il y ait une plainte, et
des victimes, ou que des éléments matériels avérés laissent présumer qu’il peut
y avoir infraction.
Le temps judiciaire est long et se heurte au temps
politique qui est court, génère des temps forts, de l’émotion, de la polémique,
de la concurrence, et est enfermé dans des échéances impératives et des délais
légaux ( la précampagne et la campagne avec ses meetings et ses débats ;
le financement ; les sondages) qui se terminent par le vote.
Des soupçonneux s’étonnent que l’on semble s’acharner sur
tel ou tel et que les juges d’instruction redoublent d’ardeur au fur et à
mesure que la compétition électorale avance. Ce sont des méchantes langues car
on ne peut pas s’imaginer -sinon on n’est plus dans un état de droit - que des
juges membres de l’autorité judiciaire veulent s’immiscer dans le choix qui
conduit à exercer le pouvoir exécutif ! Certes les quelques magistrats qui
ont construit-pour rire selon eux et à titre privé-le mur des cons ne peuvent
être taxés d’objectivité à toute épreuve, mais ils sont une minorité. On ne
peut pas, on ne doit pas, tout en n’étant pas naïf, suspecter les juges en
général : ce serait attenter aux institutions qui ont confié à la
magistrature la protection des libertés individuelles. Les juges ont le droit
d’avoir des convictions y compris partisanes, ils sont aussi citoyens. Ce qui
leur est demandé est d’appliquer la loi, votée par les parlementaires, de façon
équitable, objective et de mesurer les conséquences de leurs décisions. Je ne
doute pas que c’est le cas. Ce n’est pas de leur faute si des infractions sont
commises, si des plaintes sont déposées, si des soupçons pèsent sur des
puissants, d’ailleurs conseillés par des avocats compétents et de talent. Dans
le duel judiciaire l’accusation peut mordre la poussière, on l’a vu et c’est
tant mieux : c’est la caractéristique d’une démocratie et d’une justice indépendante. Quand son
champion est blanchi, on adore brusquement les juges !
Personne n’aime devoir passer à la question, être
suspecté et ne pas être cru sur parole. Surtout si l’on exerce ou on a exercé
des fonctions très importantes. Des médias aiment bien les jeux du cirque et
ont besoin d’aveu en direct ou de filmer les affres de l’individu que l’on
présente comme quasi coupable, c’est plus vendeur. Le journaliste professionnel
et digne de ce nom, recoupe ses sources et les faits, ne s’en tient pas à l’apparence et prend des précautions dans son
information, a de la retenue dans ses propos
et attend la décision finale des juges pour conclure. Il doit agir sous
le prisme de la responsabilité. Souvent ce qui est écrit dans le journal ou
diffusé à la télévision est pris pour argent comptant, comme la vérité. Mais ce
n’est souvent que celle du moment, partielle voire partiale. Personne n’est
au-dessus des lois, ni au-dessous d’ailleurs. Les juges non plus qui ne
demandent rien sauf de pouvoir exercer leurs difficiles fonctions en toute
sérénité et avec les moyens que le budget actuel de la justice - scandaleusement
trop bas - leur donne. Si les juges devenaient un pouvoir judiciaire il
faudrait s’interroger sur leur légitimité et leurs responsabilités. C’est un
autre débat .Et relativisons. On a vu des élus condamnés reprendre leurs
activités et se faire réélire : laissons le citoyen décider entre morale
et politique.
Il faudra bien qu’un jour, sans passion, nous débattions
de la place de la justice en général dans notre société ; du caractère
inquisitoire (avec juge d’instruction) ou accusatoire (comme dans les pays
anglo-saxons où le procureur doit faire la preuve de ses accusations) de notre
justice pénale. En attendant suivons les péripéties qui concernent le monde
politique et réfléchissons par nous mêmes.
Comme l’hirondelle
la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir
d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui
les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre. »
Nous sommes
le 5 septembre 2016. Je ne change pas une ligne de ce que j’avais écrit. Mis en
examen, témoins assistés, condamnés il y a longtemps, poursuivis de diverses
manières par le fisc ou autre, qu’on le sache pour certains ou que l’on le
taise pour d’autres, l’homme ou la femme politique doit donner l’exemple. Il ne
s’agit pas pour moi –qui ne suis qu’un quidam et n’est candidat à rien -de
donner des leçons de morale car c’est facile quand on n’exerce aucune responsabilité.
Mais je ne veux pas que l’on se tourne
vers les populistes, ceux qui ont la « moraline » à la bouche
comme le dénonçait NIETZSCHE, et qui ne font pas mieux . La vertu doit aussi
être à l’ordre du jour des prochains débats, avec de la cohérence et de la
modestie. Les français jugeront par leurs votes.