La liberté du juge prud’homal
Par Christian FREMAUX avocat
honoraire et juge prud’homal
A
propos des manifestations contre le
projet de loi réformant le droit du travail, même pas encore examiné
officiellement au conseil des ministres
,et qui sera soumis -s’il n’est pas retiré
par prudence pour ne pas déplaire aux uns et aux autres - aux
parlementaires qui pourront le modifier (c’est ce que l’on appelle la
démocratie et le respect des pouvoirs du
parlement mais cela semble n’intéresser personne puisqu'on préfère écouter le
bruit de la rue et les réseaux sociaux qui n’ont aucune légitimité)- on entend
n’importe quels arguments plus ou moins farfelus et surtout on comprend que
faire une réforme en France relève du parcours d’obstacles et que finalement
les français sont globalement conservateurs et étatistes : l’ETAT doit
tout leur garantir, y compris l’échec, et faire payer les autres et pas soi
sachant que plus d’un français sur deux ne paient pas l’impôt. Nos voisins sont
interloqués, par exemple l’Italie après la réforme de M.RENZI , voire les
allemands -peuple sûr de soi et dominateur en Europe -pour paraphraser le
général de GAULLE si je peux me le permettre !! qui ont une autre
conception des rapports dans l’entreprise. Je ne rappelle que pour information –car la mondialisation
existe même si on la déplore – l’exemple de ce qui se passe dans les pays
anglo-saxons avec des règles « souples », qui ne sont pas une
référence pour nous gaulois, en matière de marché du travail. Et je suis
d’accord : essayons de choisir le mieux disant. Enfin on assiste à un débat
politiquement surréaliste : le gouvernement P.S est conspué par ses
propres troupes qui défilent la rose à la main, tandis que l’opposition se tait
et n’ose pas approuver la réforme de peur qu’elle soit torpillée, tandis que le
MEDEF ou la CGPME nuancent…Pour ceux qui
comme moi avaient 20 ans en mai 68- mais n’étaient pas révolutionnaires car il
fallait avoir son diplôme et quitter le giron familial pour trouver un travail quel
qu’il soit, même précaire , au plus vite- il est rafraîchissant d’entendre de
nouveau M.COHN-BENDIT s’insurger ,lui qui a fait une très belle carrière de
donneur de leçons et de député européen, comme quoi la révolution mène à tout à
condition d’évoluer, et de constater que la jeunesse se croit maîtresse de la
rue avec quelques bataillons de l’UNEF (qui
représentent un très petit pourcentage d’étudiants et qui a du mal à gérer sa
propre structure) et qui continue à être l’antichambre du parti socialiste, qui
transforme ensuite les apparatchiks en
élus locaux, puis députés voire
ministres des années plus tard. Mais on
ne leur propose pas un vrai métier ! Sous le soleil rien de nouveau, sauf
que sous les pavés il n’y a plus la plage.
On voit
aussi les lycéens –les 15-18 ans – être reçus par le premier ministre (toutes
mes félicitations à M.VALLS pour son ouverture
et volonté de dialogue) pour exiger des emplois garantis-alors que la plupart
ne savent pas encore, et c’est normal, quel métier ils vont choisir- le
maintien des 35 heures qui seraient un acquis social ? et pas de
licenciements (c’est une vieille idée de ..M.Bernard TAPIE ) ou alors avec des
indemnités très importantes outre des indemnisations chômage conséquentes. Le
patron ne compte pas, il est forcément exploiteur et est surtout un tiroir
caisse. « Les jeunes » ne se demandent pas qui va payer puisque
l’impôt leur est encore inconnu et heureusement. Curieusement on n’entend pas
lesdits jeunes affirmer qu’ils vont
créer des entreprises donc de l’emploi, sauf les fameuses start-up qui
sont le symbole du risque extrême.
On a fait
depuis des décennies de la France une terre conservatrice et frileuse, le
principe de précaution inscrit dans la Constitution , s’appliquant à toutes les
activités de la société. On encourage ni
l’innovation ni l’audace : on n’accepte pas l’échec créateur qui permet de rebondir, en étant aidé. La loi
dite EL KHOMRI porte de nombreuses dispositions pour faire évoluer le marché du
travail, favoriser les accords dans l’entreprise les salariés sachant ce qu’ils
veulent et ce qu’ils refusent , sans pour autant écarter les syndicats qui sont
nécessaires, et en valorisant les acquis de la jurisprudence pour donner un
cadre juridique plus certain aux salariés et aux patrons qui connaitront la
règle du jeu avant tout conflit. C’est responsabiliser tout le monde.
Essayons de
comprendre par un point précis du projet
,qui embrasse cependant de multiples
sujets.
Prenons le
cas des licenciements qui cristallisent la discussion : les syndicats
hurlent contre le plafonnement des indemnités en cas de licenciement individuel
pour faute. Peut-on admettre que parfois un salarié fait mal son travail ou
commet une faute qui oblige le patron à le licencier ? . Si la réponse est
non par principe il est inutile de discuter. Mais de mon expérience de
conseiller prud’homme , je sais que cela existe aussi. Le débat porte sur la
liberté d’appréciation du juge qui la perdrait en étant obligé de respecter un
barème ,et que donc tous les préjudices du salarié qui est victime d’un
licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse ne seraient pas
indemnisés. C’est un faux débat. Le juge prud’homal(qui est par devoir et déontologie objectif ,qu’il soit
du collège employeur ou salarié) qui connait l’entreprise sait évaluer les
préjudices qu’il doit distinguer et motiver dans son jugement. Sinon il sera
désavoué par les magistrats professionnels de la cour d’appel, sachant que la
plupart des décisions rendues par les conseils de prud’homme sont confirmées
par les cours d’appel .Le barème avait déjà été prévu dans la loi MACRON de
2015 sans que personne ne s’offusque. Le conseil constitutionnel avait retoqué
ce point précis car il y avait un défaut
d’égalité entre les salariés qui
travaillaient dans une entreprise de plus de 11 salariés avec deux ans
d’ancienneté au moins , et ceux qui travaillaient dans une entreprise de moins
de 11 salariés. Désormais seule l’ancienneté comptera : c’est un progrès. Le juge prud’homal est dans l’état des textes existants aussi tenu
parfois d’accorder au moins 6 mois de salaire à titre d’indemnité alors même
qu’il aurait voulu accorder moins. Mais DURA LEX SED LEX. Bien sûr personne ne
s’indigne qu’il n’y ait pas de plafond d’indemnisation sauf les petits patrons
qui redoutent une condamnation et donc ont peur pour l’avenir de leur
entreprise.
Le projet du
gouvernement essaie de revenir sur ces injustices -théoriques ou réelles- ou
sur ces incohérences , des deux côtés
car dans l’entreprise si les droits des
salariés doivent être protégés, ceux des employeurs existent aussi. C’est eux
qui créent de l’emploi et il ne faut pas s’en méfier par principe .Il faut
sortir de l’affrontement permanent du 19 ème siècle et aborder le 21 ème siècle
avec des idées neuves. L’employeur se détermine en fonction de son carnet de
commandes : il embauche dans le besoin et il ne licencie pas un salarié pour le
plaisir -car les relations humaines et
le sens des responsabilités et la portée de ses actes cela existe encore
–surtout pour ensuite affronter le conseil de prud’homme. On ne licenciera donc
pas plus facilement avec la loi EL KHOMRI : on n’a pas touché à la
procédure très stricte ; l’employeur devra toujours motiver le
licenciement. Il paiera les indemnités tirées de la convention collective. Et
les juges prud’homaux arbitreront pour indemniser en plus, ou non.
Mais
pourquoi critiquer un plafonnement des éventuelles indemnisations que devra
respecter le juge ? En matière pénale , délits et crimes ,donc ce qui nuit à la société en général et
à des victimes en particulier, le juge a un « plancher » :
il peut relaxer ou acquitter et un « plafond » ,des «
barèmes » en matière de sanctions financières, de peines de prison…outre
sa jurisprudence ou celle de la cour de cassation. Le juge est libre et
conserve son plein pouvoir d’appréciation. On ne comprend pas pourquoi il n’en
serait pas de même pour le juge prud’homal qui statue en droit ET en équité .II
faut lui faire confiance. Espérons que nous n’aurons pas à
dire : le nouveau code du travail - malgré les principes posés
par les éminents professeurs BADINTER et LYON-CAEN a priori peu suspects de
partialité-est foutu, car les jeunes ne l’ont pas lu tout en défilant dans la
rue, et les syndicats l’ont mal interprété, ce qui n’est pas étonnant quand on
sait que la ministre de l’éducation nationale que je caricature, considère que
l’orthographe -qui est la base de la lecture- ne compte plus et que peut -être
dans l’avenir on passera le baccalauréat, s’il n’est pas donné d’office, en
rédigeant des tweets. En attendant si ce
projet de modification du code du travail n’est pas voté, les salariés subiront
la situation actuelle, qui n’est guère encourageante. Soyons réalistes demandons
l’impossible lisait on sur les barricades du quartier latin. Mais le progrès
n’est pas forcément lié à la défense de principes éculés et dire non , c’est
aussi régresser.